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Dans l’immémoire livresque de Chris Marker

Quatre ans après la mort du cinéaste, écrivain et créateur multimédia auteur de « la Jetée » les éditions Le Tripode publient « Chris Marker (Le livre impossible) » de Maroussia Vossen. Sa fille adoptive danseuse, chorégraphe et enseignante tente de faire le récit parcellaire de cette filiation particulière, qui nous permet aujourd’hui de revenir sur cet artiste exceptionnel et secret.

Sur les jaquettes en ouverture et sortie du petit livre les deux portraits photographiques des intéressés entrent en dialogue, prouvant que ce livre est bien le récit d’une relation autant que le portrait au sens large du cinéaste. L’auteure admet le paradoxe de son action d’écriture : « Oser poser mon regard sur un homme qui « traquait » le monde sans vouloir être vu. »

Comme beaucoup d’artistes pour commencer son œuvre Christian Bouche-Villeneuve, né en 1921, se choisit dans les années 1950 son pseudonyme qui marquera désormais sa signature. Mais toute sa vie il va se dissimuler à la façon d’un Pessoa et de ses hétéronymes derrière de multiples noms d’emprunt.

La récupération de l’urne contenant les cendres du père et le voyage en métro vers le cimetière du Montparnasse sont l’occasion d’un tendre dialogue permettant d’évoquer les débuts de leur forte relation, un journal de deuil sur le ton de la tendre confidence.

Les créations et la vie intime se mêlent, ainsi dans ces années 2010 qui voient le début du cancer de Marker et la parution aux Etats Unis de son dernier livre de photographie Passengers « permet à Maroussia de déclarer : » ces
visages de femme m’apparaissent comme autant de petites étoiles dans la nuit qu’il a dû traverser à ce moment là. »

Le livre s’organise en chapitres thématiques liés aux différentes créations et bien sûr celui titré Le temps ne peut qu’évoquer La Jetée son film réalisé en banc titre à partir de photographies en 1962. Cette fiction qui exalte un instant de bonheur pour sauver l’humanité d’une guerre nucléaire peut se résumer en deux citations : en introduction
« Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices. Ce visage qui devait être la seule image du temps de paix à traverser le temps de guerre. »
et cette conclusion :
« Il comprit qu’on ne s’évadait pas du Temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait pas cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort. »

L’évocation du comité scientifique chargé de gérer ses archives doit être pour nous l’occasion de consulter son site mis à jour http://www.chrismarker.ch ou d’aller visiter à Genève le Fonds municipal d’Art Contemporain qui abrite la Collection Chris Marker dans le Fonds Christophe Chazalon. Sur le site un chapitre consacré à « Censure, critiques, contrôle gouvernemental. » nous rappelle l’action politique et contre idéologique qui l’a toujours animé.

Le livre a aussi l’intérêt d’évoquer les liens littéraires, avec Antonin Artaud dont il fut un moment le secrétaire et Henri Michaux avec qui il entretint une longue amitié, et avec qui il partageait le sens du secret.

Rapidement évoqués les rapports au virtuel sont l’occasion pour nous de considérer le tournant technologique des années 1980 qui a conduit Chris Marker à produire des œuvres remarquables comme Level Five ou Immemory que l’on peut retrouver sur le site http://gorgomancy.net.

En fin de ce petit livre qui attire toute notre sympathie un ensemble de photographies non commentées , représentant des échanges intimes organisés en patchwork, nous rappelle que Chris Marker a toujours pratiqué écriture et images en gardant à chacune son indépendance comme il revendiquait dans Le Dépays :
« le texte ne commente pas plus les images que les images n’illustrent le texte. Ce sont deux séries de séquence à qui il arrive bien évidemment de se croiser et de se faire signe, mais qu’il serait inutilement fatigant d’essayer de confronter. »
Dans cette liberté de création se manifeste aussi la contemporanéité de cet
auteur pluridisciplinaire qu’il est important de fréquenter aujourd’hui, ses œuvres restent toujours aussi virulentes dans notre époque si mollement désastreuse.