Dans la surface de réparation du réel

La Maison Robert Doisneau de Gentilly accueille tout cet été un trio féminin qui tente, avec des esthétiques différentes, de désigner la surface de l’image pour mieux nous inciter à passer au delà. « Trouer l’opacité », un titre d’une série de Laure Samama sert aussi de ralliement à Laura Pubert en quête de personnages et aux recherches psycho-esthétiques d’Angéline Leroux.

Travaillant en couleurs au plus près des choses et des êtres Laure Samama procède à autant de voilements qu’à des découvertes de gestes intimes. Comme beaucoup de pratiquants de la straight photography la rencontre instantanée de situations formelles ne permet que des réalisations uniques.
De ce fait réussites visuelles et banalités de l’instant se télescopent. Pour contrer ce défaut l’accrochage procède à des mises en duo d’images. Ces faux diptyques ne font pas toujours immédiatement sens mais obligent le spectateur à questionner ces rapprochements de surface(s).

Laure Pubert a quant à elle cherché dans le réel à réaliser le casting des personnages du roman norvégien Les Oiseaux de Tarjei Vesas. Un brusque départ pour un voyage en Scandinavie lui a permis ces rencontres. Pour nous qui n’avons pas lu le livre nous sommes surtout intéressés par la capacité de l’auteure à faire surgir d’un subtil mélange de valeurs sombres et de couleurs éteintes des personnages fantômatiques. Cet univers d’attente, de violence assourdie s’apparente bien à ce courant expressionniste d’une photographie du nord de l’Europe où la révélation du corps se fait du fond même de la scène de l’image.

La révélation de cette exposition est sans conteste Angéline Leroux dont les recherches constituent un nouveau chapitre à l’essai de Marc Lenot La photographie expérimentale. Jouer conte les appareils. Plasticienne elle accompagne aussi des personnes en thérapie individuelle et transpose ses découvertes d’une discipline à l’autre. Dans sa conférence « La photographie : une fabrique de soi ? » elle théorise ces passages associant « le développement de la pellicule à notre façon de traiter psychologiquement les informations. J’ai associé l’image finale (l’objet photo) à notre manière singulière de concevoir le monde et enfin j’ai associé le photographe à la conscience. »

Une tentative l’amène à introduire des fils dans le corps d’un vieil appareil Agfa, de cette première rencontre fortuite dont l’image ouvre son accrochage elle déduit que « Le surgissement du caché devient une matière à se réapproprier, à décomposer, à transformer ». D’autres séries suivent où toutes sortes d’obstacles matériels à la logique de l’appareil interfèrent avec sa programmation. Ces « emboîtements » poussent dans ses limites l’inconscient technologique dont elle respecte les processus, elle montre toutes les images de la pellicule et n’intervient jamais en post-production. Ce qui permet à Michaël Houlette responsable du lieu et commissaire de cette exposition de vanter « sa poésie du voir sans le savoir. » Ses tirages sur papier Hahnemühle ou au charbon rendent toute la subtilité de ces palimpsestes in camera. En multipliant les angles morts de la vision de son appareil préparé elle institue sa propre surface de réparation du réel dont elle développe tous les protocoles de conscience.