DEADLINE ou l’apaisement de l’inéluctable

Il ne s’agit pas de parler de la mort, mais d’un voyage en terre inconnue, dans des paysages parfois lunaires, souvent riches de couleurs, jamais angoissant. Pourtant Ils savaient qu’Ils allaient mourir, condamnés par la maladie ou la vieillesse. Ces œuvres de fin de vie sont un hymne d’une rare beauté. La scénographie d’une simplicité déconcertante nous offre une promenade picturale où l’émotion l’emporte. Le parcours proposé consacre à chacun des artistes un espace distinct qui permet au public de mieux se rendre compte du caractère personnel des démarches, et constitue une invitation pudique à regarder l’infranchissable barrière. Nous quittons l’univers du mouroir. S’élance alors un chant à la vie.

L’exposition est consacrée à l’œuvre tardive de douze artistes disparus au cours de ces vingt dernières années. Chacun d’eux, conscient de la mort imminente, a intégré dans son travail l’urgence de l’œuvre à achever et le dépassement de soi. Jonction, jamais rupture, les œuvres exposées brisent le tabou du non-dit de l’inéluctable. Tous, Absalon, Gilles Aillaud, James Lee Byars, Chen Zen, Willem de Kooning, Félix Gonzalez-Thorres, Hans Hartung, Jörg Immendorff, Martin Kippenberger, Robert Mapplethorpe, Joan Mitchell, Hannah Villiger, tous ils habillent ces derniers instants d’une lumière inoubliable.

« La mort se situe exactement dans la charnière bio-anthropologique. C’est le trait le plus humain, le plus culturel de l’anthropos…C’est dans ses attitudes et croyances devant la mort que l’homme exprime ce que la vie a de plus fondamental. » Edgar Morin in L’homme et la mort.

Certains artistes choisissent de développer les recherches déjà élaborées auparavant, d’autres changent plus radicalement de thème, de formes ou de rythmes, d’autres encore donnent à voir explicitement la réalité et l’évolution tragique de leur maladie. D’autres enfin rendent visible la mort dans leurs œuvres. Notre regard ne peut que s’arrêter sur certaines œuvres, que les autres nous pardonnent mais ce choix n’est dû qu’à un article limité dans sa pagination.

GILLES AILLAUD (1928-2005) qui a souvent peint des animaux en captivité se libère dans le silence et se limite à quelques rares toiles représentant des oiseaux volant dans le ciel, perdu dans l’immensité, œuvre minimaliste qui invite au voyage de l’horizon.

HANS HARTUNG (1904-1989) se confronte à des grands formats. Il renouvelle sa gamme chromatique dans une véritable explosion de couleurs : le jaune, le rose, le blanc, le noir devenant une infime trace.

HANNAH VILLIGER (1951-1997) après avoir photographié et agrandi son corps nu, dissimule sous des tissus-linceuls de tonalité rouge-orangé ses formes décharnées qui deviennent presque pétales de roses.

CHEN ZHEN (1955-2000) atteint d’une maladie incurable traite du corps comme paysage, invitant à scruter les organes, le matériel médical, les cycles de vie, dans leur rapport aux différentes médecines et offre au silence qu’est la mort, la contemplation dans son autel de lumière.

ROBERT MAPPLETHORPE (1946-1989) photographie en noir et blanc des bustes de marbres, des visages de statues, des crânes et se livre dans un dernier autoportrait bouleversant.

JAMES LEE BYARS (1932-1997) matérialise un idéal d’éternité à travers la mise en scène de sa propre mort, dans une installation couverte de feuillesd’or, et laisse derrière lui cinq cristaux, trace d’avant la poussière.

« La « disparition » comme on dit pudiquement, ce n’est tout simplement plus le même mot pour un être que l’on a connu. Il était là et ne l’est plus, et c’est somme toute aussi incompréhensible, symétriquement, que l’apparition d’un être qui n’existait pas avant sa naissance. » Fabrice Hergott