Pascal Lièvre est un artiste plasticien qui interroge les présupposés de genre, aussi bien dans ses oeuvres que dans ses actions de curateur. Il mène notamment une action commune avec la critique Julie Crenn au sein de « Her story » pour des archives audiovisuelles sur les féminismes. Invité par Eternal Network à Tours il présente un choix d’artistes engagés sur ces mêmes terrains autour du slogan « Décoloniser les corps ».
Si les artistes invités sont nombreux dans l’espace restreint d’un ex-octroi de la ville, chacun ne présente qu’une oeuvre de petit format, toutes se trouvant réunies dans un accrochage façon cabinet d’amateur du XIXeme siècle. Une réelle parité homme/femme y est respectée ainsi qu’un juste équilibre entre artistes français et étrangers souvent issus de pays jeunes ou émergents.
Dans le sobre petit catalogue réalisé en photocopie chaque exposant n’est pas toujours présenté par sa nationalité, mais par sa ville ou son lieu de naissance : l’identité comme le genre reste ainsi fluctuante.
Toutes sortes de pratiques artistiques sont mises à l’épreuve de ces représentations corporelles sortant des stéréotypes. Les stratégies de décolonisation qui leur sont associées sont tout aussi diverses. Elles peuvent s’adresser à l’enfance, à ses jeux (Laura Bottereau & Marine Fiquet) à ses supports d’expression (Pélagie Gbaguidi s’approprie des cahiers d’écolier) à ses émotions ( Françoise Petrovitch ) ou de façon plus provocante et ironique à sa sexualité (Esther Ferrer et son jeu customs ).
Le même modèle guerrier assimilé au pouvoir et à la domination de genre est critiqué dans la performance The Naïvety of Beiruth #1 de l’Africain du Sud Athi-Patra Ruga. Ces pratiques cherchent à définir d’autres modèles en proposant les portraits de figures de ces luttes (Pauline N’Gouala peint une femme transgenre noire à l’instar d’un participant au célèbre Paris Is Burning). Dans ses vidéos Mehdi-Georges Lalou se joue du voile avec une distance ironique. Les peintures du réunionnais Abel Techer témoigne de ces passages de genre.
La remise en question des légendes et autres récits fondateurs apporte d’autres armes à cette lutte vitale. Edi Dubien imagine dans ses dessins une Blanche Neige noire et portant la barbe. Giulia Andreani rend hommage à une féministe africaine en peignant le portrait d’une femme arborant un masque traditionnel Igbo dans une revendication post coloniale. Raphael Barontini dresse le portrait d’un empereur soumis à la créolisation. Dans une démarche plus politique Malala Andrialavidrazana mêle dans sa série photo-numérique cartes anciennes et éléments graphiques tirés des billets de banque de la colonisation. Avec la même technique Nicole Tran Ba Vang imagine d’autres peaux humaines.
Plusieurs artistes utilisent des pratiques dérivées du chamanisme :Myriam Mechita avec The Witch of End reprend les tatouages ornant le visage de sa grand-mère censés affirmer ses pouvoirs magiques. Myriam Mihindou a produit sa série Déchoucaj’ suite à une expérience rituelle chamanique exerçant une montée des peurs qu’elle demande à ses modèles d’exprimer face à son appareil photo.
Cette petite exposition d’une grande richesse illustre d’autres apports des féminismes , du queer et des théories post-coloniales pour lutter contre toutes les idéologies excluantes qui continuent de sévir plus que jamais.