Des Fantômes et des Fantasmes

Philippe Baudouin, curateur de cette exposition initiée à l’occasion du festival Photo-Saint-Germain présente avec Emmanuelle Fructus de nombreuses photographies de fantômes ou d’esprits, ainsi que deux extraits de films du début du siècle. “Fantographie”, un mot-valise judicieux, évoque bien cet usage étonnant de la photographie pour nous faire découvrir les apparitions de fantômes… supposés. L’installation dans des vitrines de photographies et de documents nombreux, comme des livres sur le spiritisme, dans l’ancien appartement du philosophe fondateur du positivisme tranformé en musée y crée un curieux effet d’inquiétante étrangeté.

Philippe Baudouin est un historien expert en spirites, médiums et autres explorateurs de l’étrange et de l’occulte. Cet archiviste de la France hantée avait aussi publié le Journal de bord du gendarme Emile Tizané et il présente dans une pièce ses recherches tourmentées jusqu’à l’obsession des maisons hantées en France dont il avait même dressé une carte. L’exposition de ces images et d’objets, comme une table tournante, se mélange avec les meubles, les portraits, et les bibliothèques de l’appartement-musée d’Auguste Comte. Ce lieu témoigne de sa vie austère qui fut entièrement consacrée au savoir, et il n’a sans doute pas le cachet des autres maisons d’écrivains du XIXe siècle que l’on peut visiter à Paris. Mais c’est avant tout un lieu de mémoire qui renferme encore l’esprit d’un temps. Le philosophe Auguste Comte, créateur du positivisme, était passé d’une célébration de la science et de l’esprit rationnel à la fondation d’une religion nouvelle qui eût des adeptes dans de nombreux pays, dont le Brésil. On peut aussi s’instruire de ce mouvement par de nombreux documents d’époque.

L’Esprit d’un lieu

Mais que viennent donc faire ces évocations spirites dans un tel lieu ? Ces photographies documentent moins des fantômes, dont l’existence repose sur une croyance discutable, que la passion d’une époque qui voulait pouvoir rendre tout visible. Le spiritisme, un mouvement culturel à l’affût des manifestations de l’au-delà, supposait la croyance aux voix et aux manifestations visibles de l’invisible. Il est contemporain de l’invention de la photographie. Comme le phonographe, l’appareil photographique pouvait capter des signaux ou des images qui échapperaient à notre sensibilité ordinaire.

Toute une sensibilité paranormale s’éveille en s’inquiétant de cet au-delà, ou plutôt de ce que Guy de Maupassant avait nommé encore mieux le HORLA. L’intrication entre le rationnel et l’irrationnel ainsi qu’entre des dispositifs techniques et des fictions illustre parfaitement la part d’ombre qui accompagne secrètement toute avancée vers les Lumières. Cependant, les spirites cherchaient surtout à communiquer avec les morts, à entendre leurs voix pour transmettre leurs messages. Si les tables tournantes séduisirent pour un temps Victor Hugo, la relation du philosophe positiviste avec les défunts avait pris une toute autre forme.

Un Culte des morts

Croire aux fantômes, montrer leurs images pour démontrer leur existence provient sans doute d’un nouveau besoin social : celui d’un culte des morts. Auguste Comte avait théorisé cet humanisme morbide car pour lui, “le culte des morts est un signe d’humanité”. Un tel culte se manifeste d’un côté par le Panthéon, ce grandiose lieu de mémoire pour les morts illustres – et est-ce un hasard si ce monument est voisin de cette rue ? – de l’autre, par le culte intime de nos morts familiers et de nos amours perdues, comme celui que portait Auguste Comte à sa muse adorée, Clotilde de Vaux, dont son appartement célèbre nostalgiquement l’image à travers ses portraits.

Voilà pourquoi, dans cette demeure, la présentation de toutes ces figures de l’absence dans ces photographies de fantômes distille une “inquiétante étrangeté” qui y est bienvenue. L’habit noir d’Auguste Comte accroché dans sa chambre comme la robe théâtrale d’une célèbre femme médium sont des reliques qui évoquent des hommes et des femmes d’un autre temps, celui où la mort qui rôdait inquiétait davantage. Aujourd’hui, les hôpitaux gèrent ce qu’on nomme avec sobriété la “fin de vie” et les cimetières ne sont plus autant décorés de statues. Le retour des esprits ou d’autres ectoplasmes fantômatiques ne hante désormais (sauf exception) que les trains-fantômes des fêtes foraines ou les films de genre.