Des schémas corporels alambiqués

Né en 1983 à Bogota, ce colombien se sent dépositaire d’un savoir ésotérique à la croisée de plusieurs conceptions (yoga, astrologie et mythologies diverses) qu’il réunit dans des textes et des images. Cet illustrateur est un interprète dont les représentations font fusionner les codes pour produire des palimpsestes paradoxalement originaux.

De modernes pin-up esquissées dans des poses sexys, sans doute inspirées de magazines, ou des corps dessinés frontalement pour servir de blasons anatomiques sont reproduits pour illustrer un savoir complexe. Tous les corps sont vus en transparence, leur chair ne cachant pas le squelette qu’elle habille temporairement, et cette transparence est amplifié par le support utilisé, du papier calque ; fiches numérotées, agraffées pour former des albums et archivées, elles sont disposées sur les murs de la galerie comme autant d’étapes singulières d’une démarche dont la visée se veut universelle et encyclopédique et qui constitue des Codex, des livres manuscrits, ancêtres du livre imprimé.

Chaque dessin, chaque page de petit format (32,3 x 20,1) de ces Codex propose un schéma corporel différent, légendé de minuscules caractères ésotériques, et chaque corps est recouvert d’une grille interprétative, traçant des repères géométriques, des lignes de forces et des parcours de flux énergétiques dont il est soit la cible soit l’émetteur. Certains dessins renvoient à un domaine culturel connu, comme les emplacements et les couleurs de chakras selon le schéma corporel du yoga, tandis que d’autres sont plus fantasques, voire fantastiques.

Quand la théorie devient fiction

La superposition de théories et de récits mythiques anciens (les Incas, l’Egypte ancienne, l’ère des Titans, la légende de l’Atlantide, les prédictions de Nostradamus…) repose sur un brassage de culture postmoderne, dans la mesure où le cinéma hollywoodien a ressuscité d’anciens héros et où les remake produisent une temporalité cyclique. La différence entre un discours qui relève de la croyance, comme celui de cet encyclopédiste compulsif, et celui qui joue de l’imaginaire en s’installant dans la fiction, comme le fait par exemple le cinéaste Christopher Nolan avec sa conception de la temporalité, semblerait se réduire de nos jours de plus en plus.

L’effet de saturation que produit Giraldo avec ses croquis de schémas corporels alambiqués ou ses récits est l’analogue de l’horror vacui caractéristique du remplissage schizophrénique. Tout doit pour lui devenir compréhensible, mais la pluralité des grilles interprétatives qu’il superpose montre combien sa pulsion narrative, dont témoigne le documentaire filmé consacré à l’artiste, est pour lui une manière de se tenir à l’écart de la réalité en prétendant pouvoir la maîtriser par un savoir. Décharnés et fantomatiques, les corps qu’il dessine sont sans doute pour lui des fantasmes qui s’interposent entre son regard et les corps réels des vivants qu’il ne regarde pas comme tels.
Est-ce un hasard si la galerie Christian Berst expose en même temps dans son deuxième espace, The Bridge, un petit “salon de la Mort” où d’autres squelettes nous accueillent ?