« Désordre des corps et jeu de métamorphose »

Considéré aujourd’hui, comme un des artistes contemporains majeurs au Brésil, Tunga nous présente une nouvelle dimension, de son travail avec un ensemble inédit de Dessins Erotiques, à l’occasion de l’inauguration du nouvel espace de la galerie Daniel Templon, du 31 mai au 26 juillet 2007. Roses et estompés, réalisés exclusivement à la sanguine, ces dessins nous frappent d’emblée par leur force érotique suggestive. L’effervescence de l’imaginaire exubérant et fantasmagorique de Tunga est au rendez-vous, et nous découvrons, intrigué, ces suites de fragments de corps, de mains et de dents géantes qui s’enchevêtrent par le trait, dans des orgies ambiguës.

Architecte de formation, né en 1952, et investissant le champ des arts visuels dès 1974, Antonio José de Barros de Carvalho e Mello, dit Tunga est plus familiarisé avec le public français depuis qu’il a exposé en 2005, lors de l’année du Brésil en France, une sculpture magistrale intégrant performance, poésie et installation, sous la pyramide du Louvre, intitulée A la lumière des deux mondes ? De la gigantesque démesure du Louvre, Tunga nous convie, aujourd’hui, par ces petits dessins à une dimension plus intime de son œuvre.
Tunga, toujours abondant et imprévisible, recourt pour le plus souvent à la fiction et au mythe pour composer une œuvre dont la liberté et la luxuriance renvoie de façon évidente au baroque et au surréalisme. Les surréalistes ont d’ailleurs constitué très tôt la clef de son univers et de ses références personnelles. Son attachement à ce courant artistique se manifeste, néanmoins, sans rapport direct avec l’histoire du groupe, mais bien plus en écho à l’esprit de découverte, de transgression et d’alchimie qui le caractérise.
Sa production, à mi chemin entre performance et narration, se compose elle-même de sculptures, de photographies, de dessins et de vidéos. Dans sa démarche, Tunga nous offre un modèle de subjectivité et une vision du corps tout à fait différents de ce à quoi nous a habitué l’art contemporain. Or il n’y a rien de surprenant à cela, si l’on considère l’art produit au Brésil depuis les années 1950, comme une période durant laquelle les tentatives visant à donner une nouvelle interprétation de la subjectivité et du corps furent au cœur de la production artistique.
L’œuvre de Tunga ressemble en particulier à une série de scènes baroques où le sujet se trouve constamment dans un état de décomposition et de reconstruction, l’idée de métamorphose est au cœur de sa production.

Avec cette série inédite de dessins, Tunga présente un aspect plus rare de son travail, plus surprenant peut- être, car ces dessins ne sont pas des études pour un projet à venir.
Tracés sur papier chiffon, les lignes rosées révèlent simplement de l’écriture, à la manière d’un journal intime ou d’un poème, en condensant à la fois fantasmes et interrogations plastiques.
La technique utilisée est toujours la même : Tunga dessine les motifs à l’envers, avant de les retourner à la manière d’un calque et de les faire apparaître en utilisant du pastel rose. Les traits explorent les questions d’échelle, de volume et d’empreinte tout en reprenant les thèmes majeurs de son travail : la métamorphose, la circulation d’énergies, la continuité et la discontinuité, la tension attraction- répulsion, la dynamique du plein et du vide, de la pensée et du corps, l’alchimie…
De cet amalgame organique, divers éléments participent à créer cette impression de fantasme générateur de l’œuvre. L’image de la dent fonctionne comme un leitmotiv. A la fois sexe ou mamelle, elle devient pour Tunga un symbole de la sculpture archaïque. De plus, en tant que première sécrétion « minérale » du corps, elle symbolise à la fois les transformations du corps, mais aussi la fascination primitive de l’humain pour les structures complexes.
Visuellement, dans ces dessins, la dent incarne la force pénétrante, au même titre que la main. Elles s’encastrent entre elles, et sont positionnées dans les replis du corps féminin. Les courbes du corps féminin, les seins se doivent au contraire d’apporter de la surface à l’œuvre. Le plein devient vide, les dents corps, l’attraction un enchaînement … La métamorphose chère à Tunga opère. Il nous projette dans un environnement paradoxal et imaginaire, délibérément surréaliste où les formes accouplées entres elles, construisent l’image d’une sexualité monstrueuse incarnée ici, par la morsure de la dent et la pénétration de la main.
Rappelons au passage, que l’image symbolique de la dent n’est pas inédite dans son œuvre. En 2005, il présentait à la galerie Daniel Templon, une installation sculpture monumentale, Les affinités électives, une œuvre qui s’interrogeait sur les relations entre corps, désir, sculpture et langage, et qui fut le théâtre d’une performance, dans laquelle le symbole de la dent était déjà présent. On y découvrait, une mise en scène dans laquelle des femmes nues, se roulaient dans une poudre blanche peuplée de dents. Symboliquement, la dent se change en enfant que l’on berce, en objet du désir, en déclencheur d’émotions. Ainsi, dans cette performance, Tunga confirmait, une fois de plus, son attachement, à l’image de la dent.
Cette œuvre, marquée par l’ambiguïté et la prolifération des sens, onirique, métaphorique, n’est pas sans rappeler la composition des Dessins érotiques en divers points.
L’espace des dessins est aussi travaillé par l’idée d’immersion, de métaphore qui se fait transport et métamorphose. Ainsi, Tunga nous fait penser le mouvement, le continuum du mouvement du corps, de la pensée et du langage.

Au final, ces dessins sont bien loin d’une érotomanie délirante, et nous retrouvons au travers de ces suites de fragments corps, la rencontre poétique, voulu par Tunga, avec un monde imaginaire en constante évolution, où les corps ondulent dans l’espace jusqu’à atteindre la fusion absolue, où les symboles du corps se construisent dans un corps fait pour l’esprit.

+++ Infos +++
Galerie Daniel Templon
Nouvel espace : 1, impasse Beaubourg. 75003 PARIS
www.danieltemplon.com