Deux institutions de l’art thaï contemporain

Bangkok se caractérise par de nombreuses galeries dans les quartiers de Sathorn et Thong Lo, l’activité de beaucoup d’artistes émergents, et les institutions du Bangkok Culture and Art Centre et du MOCA, qui sur six niveaux, accueille près de 800 œuvres d’artistes contemporains thaïs recueillies par le plus grand mécène du pays Boonchai Bencharongkul un milliardaire qui se rêvait peintre dans sa jeunesse.

Situé au plein cœur du quartier des hôtels de luxe et face à deux centres commerciaux le Bangkok Art and Culture Centre est construit sur une structure circulaire avec un escalier tournant façon Guggenheim, il abrite des boutiques d’artisanat et de création, un centre de sculpture et plusieurs niveaux de monstration. Toutes ses expositions sont gratuites.

Le Bangkok Sculpture Centre accueille en ce moment la Eastern Spirituality Art Exhibition une collection de Sermkhun Sumawong qui montre comment des artistes s’accaparent d’une tradition spirituelle pour donner des œuvres actuelles. On peut y admirer entre autres une sculpture de Manop Suwanpinta Never Ending Song en fibre de verre illustre la compétition des générations. Un gisant y est surplombé par des bébés menaçants dressés sur leur cordon ombilical.

L’une des expositions Poetry of Light œuvre de la Princesse Maha Chakri Sinrindhorn regroupe de nombreux clichés couleurs de toutes dimensions, ils apparaissent assez quelconques, à l’exception peut être de quelques photos de travailleurs attachés à différents artisanats y compris électroniques.

L’exposition Early Years Project #2 : Anticipation est beaucoup plus significative de la jeune scène thaï. Deux machines à dessiner mues par un arduino de Chanon Dechasophon nous accueillent en inscrivant leurs traces colorées de long de colonnes du bâtiment. Les peintures très expressionnistes à la matière très présente de Jarasporn Chumsri sont d’abord visibles sur des cimaises avant de trouver une expansion dans une installation qui évoque l’atelier.
Pour y accéder on doit traverser une sorte de terrain de compétition sportive, Wharet Khunacharoensap y installe deux arbitres sur des chaises hautes façon tennis qui échangent avec deux boîtes de conserve reliées par un fil de fer barbelé.

Tanaphon Inthong, artiste accumulateur arrange au long des parois des ensembles d’objets quotidiens dont les assemblages sont bien moins convaincants que les grands tirages photographiques des mêmes ensembles qui font penser aux constructions fragiles de Thibaut Brunet. L’espace ménagé autour de ces constructions improbables leur redonnent une certaine monumentalité.

L’installation immersive la plus réussie est celle d’une femme Alisa Chunchue Overdose qui scénarise l’univers de la drogue dans une pièce close envahie d’un brouillard bleuté tandis que de petites tables métalliques et le sol reçoivent les outils individuels d’accès aux substances interdites évoquant l’assuétude aux dangers mortels.

Le Musée d’Art Contemporain de Bangkok créé en 2012 est situé lui plus au nord de la capitale sans être desservi par le métro aérien, plus de vingt minutes en taxi depuis la station terminale sont nécessaires pour y accéder.
Dans le hall du bâtiment deux hôtes reçoivent le visiteur. Le premier est un Dali hyperréaliste en fibre de verre, Watchara Prayookum son auteur l’installe face à son chevalet doublé d’un miroir.

Une statue en bronze du Professeur Silpa Bhirasi, le florentin Corrado Feroci, (1892-1962) nous rappelle ensuite qu’il a été à la fois le fondateur de l’Université Silpakorn et le père de l’art actuel en Thaïlande, où il est arrivé en 1922 pour fonder un enseignement artistique. Nombreux sont ses élèves présents dans les quatre premiers niveaux du bâtiment tandis que le dernier est réservé à la collection internationale.

La force de la tradition reste puissante au point qu’un livre fait référence au courant d’un New Traditionnal Art. De ce fait on trouve de nombreux tableaux évoquant les trois sphères de la vie humaine dans des compositions gigantesques d’une peinture mêlant les échelles de représentation anthropomorphiques.Les huiles sur toile où sont insérés des éléments décoratifs de Veerachan Usahanun en représentent un bon exemple.
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Un autre courant recherche un rendu pictural d’un extrême photoréalisme des corps le plus souvent d’une majorité de femmes et de quelques enfants.
Ils ne sont pas exempts d’un certain kitsch. Les corps sont souvent entourés de motifs naturels ou floraux hérités de la tradition décorative.

Le lien à l’animal demeure source d’inspiration créant aussi des êtres mixtes repris de la mythologie ou constituant une réflexion sur le sort des humains. L’ensemble de sculptures en bronze Animal-man Family d’Anupong Chantorn joue de l’interversion des critères de chaque espèce pour créer d’inquiétants monstres familiers.

Plusieurs artistes sont honorés du titre d’artiste national, une grande partie du 4e étage est dédiée à Thawan Duchanee, sa série des Brushworks-Predators capte dans ses huiles sur toile comme dans ses gravures toute la fougue de l’énergie animale et de sa mystique.

Les œuvres engagées ne sont pas légion, aussi on remarque les sculptures de Vatchara Prayulkam réalisées en fibre de verre dans une sorte de grisaille monochrome, elles revisitent les grandes figures de la modernité historique que sont Mao, Staline, Sadam Hussein mais aussi des chefs politiques moins contestés tels Gandhi ou Churchill, tous représentés comme des marionnettes.

Un trio de plus grande taille montre un homme blanc qui se détourne , bras croisés, d’un homme noir tenant une plus petite marionnette d’Hitler. L’interprétation d e l’ensemble ne peut faire référence qu’à une fable moraliste plus générale sur les forces du bien et du mal ou du corps et de l’esprit tel que le suggère le titre Body Mind Peaceful.

La collection internationale regroupée au dernier étage comporte peu de noms très connus et on ne se réjouira pas de a présence de ce faiseur de David Lachapelle. Des découvertes sont cependant possibles, dans le mixed media on peut apprécier le collage Muhamad Ali d’ Alec Monopoly.
La photographie est absente du Musée aussi c’est un grand bonheur de découvrir trois créateurs dont les américains Maggie Taylor et Tom Chambers. Mais leur compatriote Richard Tuschman avec ses tirages jet d’encre est la révélation de cet ensemble. Il organise ses scènes d’intérieur en les éclairant par des fenêtres empruntées à la peinture du XVIIe siècle. Elles s’enorgueillissent de couleurs d’une grande suavité qui ajoutent à notre sentiment de partage d’une intimité sans voyeurisme.