Courir à l’infini (plus loin que tous les regards), exposition personnelle de Capucine Vever

Artiste enquêteuse, Capucine Vever poursuit un travail artistique durant des temps de résidence, privilégiant les rencontres avec des personnes qui habitent et travaillent là où elle se rend. Lors de ses immersions, elle mène une approche à la fois qui a trait à l’écologie, à la sociologie et à l’histoire des lieux. Elle rend visible d’autres facettes des paysages qui subissent les conséquences des activités humaines. Son travail artistique autour des problématiques de territoires propose des récits, nous invitant à cheminer avec elle.

La dimension temporelle du paysage est primordiale au sein de son exposition personnelle Courir à l’infini (plus loin que tous les regards) au centre d’art Image/Imatge d’Orthez. Ses œuvres témoignent d’échanges, d’observations et d’expériences marquantes. Son installation vidéo sollicite un déplacement, telle une exploration des profondeurs. Si l’océan fascine et suscite parfois des craintes, il est ici vu de l’intérieur. Ce paysage résulte des différentes transformations qu’il subit au fur et à mesure des implantations des hommes.

Le centre d’art Image/Imatge, situé dans un ancien cinéma d’art et d’essais, se révèle être l’espace propice à cette exposition : une invitation à une immersion progressive de la surface d’un paysage jusqu’au fond marin. Lame de fond, une série de huit gravures introduit les lieux et les enjeux qui traversent l’œuvre de l’artiste, l’espace océanique, les territoires insulaires et l’activité du fret maritime mondial. À proximité, dans un aquarium, une plaque de cuivre qui a servi de matrice d’impression aux gravures continue d’être rongée par l’eau de mer et nous rappelle les fins de vie de bateaux dans les fonds marins.

Sur le sol de l’espace d’exposition, une multitude de polyèdres en plâtre polyester teinté dans la masse dessine une trajectoire. Ils se dispersent au fur et à mesure du passage des visiteurs. Ces fragments se réfèrent à la fois à la forme du polyèdre inventé par Dürer en 1514 et aux jouets de bain qui furent déversés dans le Pacifique, tragédie datant du 10 janvier 1992. Leur dérive nous fait penser à des objets, des déchets qui se transforment les années passant. Cette installation intitulée Friendly Melencolia croît progressivement et se modifie au gré des expositions. Elle nous amène à établir des relations avec les éléments qui se révèlent dans l’installation vidéo Dunking Island. Celle-ci invite à suivre les courants et à être au plus près des espèces qui habitent l’océan.

Au printemps 2021, Capucine Vever a effectué une résidence de 3 mois à Dakar, au centre d’art Kër-Thiossane. Elle a interrogé de nombreuses personnes afin d’appréhender la baie de Dakar et de comprendre l’histoire de l’île de Gorée, lieu de mémoire de l’esclavage. Elle a appris la plongée dans le but de réaliser des captations vidéo subaquatiques pensées en collaboration avec le chef opérateur Léo Leibovici. Les images retranscrivent ainsi la réalité des mouvements, rythmes et flux qui régissent l’espace océanique. Les six écrans invitent à un mouvement vertical de la surface aux fonds marins, une progression qui suit métaphoriquement le processus d’immersion que l’île de Gorée finira par subir un jour.

La voix et les textes de Wasis Diop, chanteur-compositeur sénégalais, transmettent les pensées de l’océan et celle de la communauté sénégalaise les Lébous. Sa poésie nous transporte et nous percevons, tout au long de ces paroles, un milieu bouleversé, anthropisé. La composition sonore de Valentin Ferré, avec lequel l’artiste collabore depuis plus de dix ans, renforce la sensation d’une plongée progressive à la découverte de cette île mémoire, confrontée à la problématique de la montée des eaux. D’une certaine manière, ce projet constitue un prolongement de l’expérience de l’artiste lors de sa résidence sur l’île d’Ouessant à Finis Terrae en 2019.

Ainsi, Capucine Vever rend perceptible cette montée progressive des eaux. Par l’expérience poétique, elle sollicite notre attention à un phénomène climatique ainsi que sa mise en perspective avec la traite négrière et l’histoire coloniale.