Il est des œuvres qui se construisent dans une succession de choix radicaux qui ne facilitent pas une mise à vue immédiate. Celle d’Elisabeth Raphael est de celles-là, elle nécessite une approche réitérée, lente et respectueuse. Repérée par l’équipe de rédaction de notre revue en ligne, elle a constitué pour nous une révélation du salon Réalités Nouvelles 2015 dont elle est une habituée.
Artiste qui fait œuvre plutôt que carrière sa décision initiale se situe dans l’abandon d’une recherche universitaire d’historienne des civilisations extrêmes-orientales , centrée sur la Chine. Et dans le choix d’un pseudonyme qui constitue son actuelle signature. Sa première inclination en tant que sculpteur sera pour le grès. Choisissant résolument le modelage dont elle apprécie la lenteur de production plutôt que le tour, trop rapide, elle exécute une série de crânes ovoïdes en grès sombre sans autre organe sensoriel qu’une bouche immensément ouverte sur l’apogée d’ un cri, d’un chant muets. Elle place cette création sous les auspices de Georges Didi -Huberman contempteur de « la survivance des lucioles ».
Grand prix en 2012 de la Biennale de création contemporaine et céramique de Vallauris ses sculptures et installations sont faites de terre, acier, plomb, bois, tissus ou vidéo matériaux grâce auxquels elle entend émouvoir et nous autoriser à renouer avec notre humanité blessée.
L’artiste reste avant tout une fidèle lectrice des poètes et philosophes dont différents auteurs de la tradition juive, Edmond Jabès, Emmanuel Levinas, Marc-Alain Ouaknin, Paul Celan ou Bruno Durocher. Les citations de Jabès ornent les murs de l’atelier, et c’est par son entremise qu’elle fréquente le livre des Psaumes. Cet élément de la Bible qui recueille les paroles du peuple juif destinées à célébrer Dieu est aussi appelé livre des louanges de David. Si elle s’est attachée à en donner une version plastique n’est ce pas parce que le mot désignait aussi l’instrument accompagnant ces prières ? Là encore quelque chose se trouve mis au silence, comme le cri empêché des têtes de grès.
L’intérêt passionné pour le psautier impose un autre choix technique tout aussi radical qui la destine à la céramique. Elle produit ainsi de fines feuilles au format livresque de 20 par 12 cm qui par leur couleur rappellent le blanc de la page. Leur fragilité redouble celle de la vie humaine (thème cher à la sculptrice) tandis que la finesse de leur texture laisse espérer « l’éloge de la caresse » comme le titrait une de ses expositions.
Pour exister ensemble ces 3950 feuilles sont constituées en livrets rassemblés par la reliure brutale d’un fil de fer barbelé, comme sorti des camps de concentration. Le texte des manuscrits de la Mer Morte est en totalité transcrit par estampage sur plus de 500 de ces feuilles où il apparaît comme en palimpseste.
L’inspiration, le caractère mystique de l’écrit, le recours à une forme imparfaite du livre, tout peut faire penser à Anselm Kiefer. Tout s’en distingue, là où l’artiste allemand fait produire par ses employés dans son usine nîmoise une extravagance livresque arrachée aux lourdes feuilles de plomb Elisabeth Raphael sculpte les silences du texte gravé, elle exige du lecteur une approche lente à dimension du visage, artiste femme son travail du peu de matière se fait épiphanie comme le voulait Jabès « d’un livre qui ne dirait que le frisson », dont elle tire une archéologie essentielle.