Esther Segal ou la chair icônique en recherche de son identité

L’ambition de cet essai est de redéfinir la photographie à l’aune du flou. Pour ce faire Esther Ségal s’appuie sur sa pratique de plasticienne qu’elle confronte à différents philosophes qui questionnent la spiritualité dans l’image.

Il ne faudrait pas qu’un lecteur se laisse décourager par le jeu de mots lacanien du titre « L’UN-précis » quand le maître du Séminaire n’est pas cité alors que le penseur de « différance » Jacques Derrida est souvent et à juste titre convoqué. Pour lui faire pendant de nombreux auteurs de la pensée juive tel Emmanuel Levinas sont aussi mis à contribution.

Le sous-titre oppose de façon plus claire un concept très prégnant emprunté à Marie-José Mondzain celui de « la chair icônique » à l’écriture de lumière qui renvoie moins à une définition lexicale de la photo-graphie, qu’à sa relecture par la plasticienne qui dans ses œuvres fait le lien entre écriture judaïque et alphabet braille.

Dans la lecture religieuse de l’image ne faisant pas non plus l’économie de jeu de mots le flou est d’abord attribué à une déformation que Judas le personnage biblique est chargé d’assumer en lien au nom commun dérivé désignant ce petit objet optique assimilé lui-même à l’objectif de l’appareil.

Il est vrai que dans cette thèse les références philosophiques ou religieuses habilement utilisées sont plus nombreuses que les mentions d’autres artistes. Bien entendu le flou spirituel en peinture appelle de Staël, Rothko ou Kandinsky. Le flou est ensuite associé, à partir de Walter Benjamin, à une lecture freudienne qui le rattache au rêve et autres états « hypna-icôniques ». Ce qui introduit des créateurs comme Christian Boltanski et ses œuvres mémorielles ou Xavier Zimbardo et les portraits de cimetière dans la tradition des porcelaines tombales.

L’auteure s’appuyant sur sa pratique ses images faisant « L’éloge du flou » produites en couleurs et ici reproduites en noir et blanc appellent la célèbre série des « Equivalences » d’Alfred Stieglitz. En revanche il est dommage que des œuvres aussi importantes que celles d’Yves Guillot, de Dolorès Marat ou d’Alain Fleischer ne soient que citées à l’appui de la démonstration et pas analysées en tant que telles.

Dans leur continuité le support analogique est ensuite étudié pour lier l’idée très riche d’implications de « chair icônique » au concept du psychanalyste Didier Anzieu de « Moi-peau » qui fait s’interroger « peut on parler de l’image floue comme d’une image filiale ? ». Questionnement poussé plus avant dans sa nature « à la croisée du visible (…)
A la fois seuil et réunion, une et trinité, l’UN-précis ».

Cette définition dynamique peut rappeler la particularité que le plasticien polonais Krystof Pruskowski attribuait à la photosynthèse de pouvoir illustrer la sainte trinité, père, fils et esprit.

De retour vers ses œuvres l’artiste devient encore plus convainquante quand elle les assume dans la lignée de Roland Barthes revu par Régis Durand autour de l’image pensive. Parce qu’elle est peu attendue ici la pratique de Yukio Mishima leur apporte son miroir brisé. Ce qui répond à la mise en fragments d’œuvres mixtes comme « Contamination » de 2013.

Esther Ségal faisant appel à ses origines juives relie l’exercice de l’alphabet hébraïque à des autoportraits reproduits sur des surfaces de papier ou de métal embossées ou trouées. Cette double pratique d’écritures de lumière lui permet d’accepter la filiation de l’image floue féminine à l’expression d’une véritable identité « afin de retourner au travers de la photographie au père et retourner à travers le père vers la photographie. »

Cet essai attachant apparaît comme une lecture contemporaine ne faisant pas fi des acquis spirituels et philosophiques de l’image. Cette appropriation au féminin de différents concepts antérieurs à la post-modernité mais toujours opérant accepte leur démarche analytique pour revendiquer « La Partition » d’une œuvre mixte d’une réelle force plastique.