Exposition personnelle Bee & Bobby Mc Leaf de Julie Navarro

Julie Navarro s’attache à donner une matérialité au dialogue qu’elle développe avec le vivant, les humains et les non humains. Les couleurs, les matières et les épaisseurs traduisent ces relations sensibles. L’impalpable devient palpable et l’impermanence de la nature se révèle dans ses œuvres de différents médiums, telles des traces d’expériences vécues. Son travail artistique s’inscrit dans un courant d’artistes telles Bojan Šarčević ou Eva Hesse entre autres, qui privilégient le travail avec des éléments tangibles afin de restituer un moment ou un phénomène de l’ordre de l’éphémère.

Ses œuvres témoignent de ses connexions avec le vivant et transmettent la vie des éléments naturels. De tous médiums, celles-ci dévoilent des fragments de paysage et nous amènent à reprendre contact avec les végétaux et les êtres qui peuplent des milieux, foulés et travaillés par des hommes d’un autre temps.
Comme une introduction aux superpositions de textures et matières naturelles présentes dans l’exposition, Mirage, série de photographies, réalisées à l’occasion de ses performances, montre l’association de deux corps mis en perspective dans un jardin. Ils semblent « danser avec les arbres pour devenir arbre, devenir socle et caillou, devenir paysage ». Des pelotes de laine créent des liens, tels des flux colorés. L’artiste part d’expériences vécues et les déplace par analogie pour les traduire en sensation visuelle.

Julie Navarro prend appui sur les éléments architecturaux de la galerie Liusa Wang pour proposer aux visiteurs d’éprouver des sensations et de découvrir ses œuvres au fur et à mesure d’une promenade. Une cascade picturale d’un vert intense nous accueille. À partir d’une performance qui consistait pour l’artiste à peindre sur 30 mètres de « moustiquaire » des traces sur l’herbe, elle réalise une installation, tel un voile qui capte « une empreinte de printemps ». Son œuvre relève d’un passage d’une expérience d’un paysage à l’horizontale à une vision verticale. Semblable à un espace liquide, une « traversée d’air », son œuvre qu’elle nomme judicieusement Prairie est aussi imprégnée d’un parfum d’humus, comme pour faire remonter à la surface des souvenirs d’herbe fraiche, de rires… Elle peut aussi faire penser à une bête géante, qui hante nos peurs d’enfants en forêt. Dans la galerie, elle s’apparente à une jetée d’une grande fluidité, nous invitant à prendre le temps de percevoir les touches de peintures et les végétaux qui s’y sont greffés.

Derrière Prairie, les branches d’ampélopsis qu’elle a délicatement ramassées de son balcon composent une écriture, des signes graphiques. Des accroches de cette plante peintes avec de la peinture phosphorescente scintillent la nuit, offrant une nouvelle vision de l’œuvre. Piece of my heart [attrape cœur] rayonne dans l’obscurité et dessine des constellations, qu’on garde en mémoire.
Julie Navarro se sent proche des matières naturelles et restitue les impressions visuelles tout en jouant avec l’ambiguïté des éléments qu’elle emploie, notamment avec sa série Les inaperçus. Elle y enferme des matières vivantes colorées, qui deviennent des points mouvants dont on cherche l’origine. L’artiste tend à ne pas tout donner au spectateur. Ses œuvres convoquent le toucher et pourtant on ne peut atteindre ce qui est contenu. Du dehors au-dedans, du dedans au dehors, ses séries d’œuvres jouent sur un passage de la matière vers l’image. Certains éléments colorés semblent être fixés tandis que d’autres paraissent plus évanescents. Ses œuvres sont alors affaires de perception telles des énigmes visuelles.

Sur un support au ras du sol, Tornà (litt : fantôme) des impressions photographiques sur papier calque de sculptures primitives en tourbe du Limousin contiennent la mémoire des tourbières que l’artiste a parcouru. La superposition des calques crée des remontées fantomatiques avec Les inaperçus, de différentes couleurs pastel.
Ponctuant l’exposition, la série Pearl suggère des roches aux points lumineux colorés. Certaines toiles présentant des formes organiques font penser à des créatures ou à des paysages anthropomorphes.

Pour Julie Navarro, « les éléments du corps et de la nature se confondent ». Son corps s’engage dans une danse en osmose avec le paysage et elle vient capter les fragments de matières qui l’incitent alors à composer des signes visuels et des formes organiques s’apparentant à des pierres, à des végétaux ou à d’autres éléments présents dans les lieux qu’elle explore avec attention. Ses performances durant lesquelles elle éprouve une relation physique avec la nature, d’une grande poésie, l’amènent à restituer des déplacements. « J’aime semer des idées » affirme l’artiste qui procède par pollinisation ponctuant ses œuvres de flux de matières, mouvement de la mémoire.

Cette exposition personnelle retrace ainsi les différentes sensibilités de l’artiste et son attrait pour le vivant, l’éphémère et la fragilité d’une nature, qu’on oublie de voir.