Nous sommes au regret d’apprendre le décès à 63 ans de l’artiste plasticienne d’origine tunisienne Fatma Charfi connue aussi comme Fatma Charfi M’Seddi. J’avais été interpellé par son installation en 2004 au Palais Kheïreddine à la Médina de Tunis pour l’exposition collective « Impressions croisées » dont elle était pour moi la révélation. Elle produisait aussi bien des peintures ou sculptures, des photographies ou vidéos, des installations et des performances.
Diplômée de l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis, elle a poursuivi sa formation en Pologne en 1977, en se spécialisant dans la production de dessins animés. Ses études en France dès 1980 aboutiront à un doctorat en esthétique et sciences de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne. En 1986, elle s’installe en Suisse dont elle obtient la nationalité. En 2000, elle participe à la Biennale de Dakar, où est la première artiste féminine à remporter le grand prix Léopold-Sédar-Sengor, elle y sera sélectionnée pour trois autres éditions. Ses œuvres se retrouvent dans les collections nationales du Sénégal et de Tunisie mais aussi au Baltimore Museum of Art et dans de nombreuses collections privées.
Appartenant à cette génération active au début des années quatre-vingt-dix, en quête d’un renouvellement de la création plastique pour répondre aux mutations aussi bien sociales qu’artistiques par delà les thèmes traditionnels en cours elle invente son propre vocabulaire. Ses petites figures mi-homme mi insecte les Abérics elle en décline les formes dans différentes techniques. Elle en raconte la genèse comme une naissance par inadvertance entre ses doigts alors qu’elle suivait à la télévision les évènements de la première Guerre du Golfe en manipulant et triturant, du papier de soie noir. Elle les définissait comme « Une simple figure de papier, tout à la fois archaïque et moderne qui prend un caractère universel et dont la nature mutante autorise touts sortes de transformations. »
Ces petites figures humanoïdes stylisés sont organisées pour être photographiées, classées dans des boites ou des éprouvettes comme pour une analyse scientifique. Leur fourmillement peut aussi participer à de plus complexes installations avec photocopies, dessins ou vidéo. L’artiste aimait aussi les manipuler pour activer ses performances.
Elles lui ont permis de personnaliser son approche du voile pour sa participation itinérante à l’exposition collective itinérant aux Etats Unis “The Veil : Visible and Invisible spaces” ou encore de singulariser ses œuvres présentées à Tunis pour cette autre manifestation qui questionnait « La part du Corps ».
Ses recherches artistiques ayant souvent des soubassements biographiques restaient étroitement liées à une approche sensible de la nature humaine, de l’identité féminine dans le questionnement du rôle des femmes et de leur positionnement dans la société. Elle a toujours su trouver le recul critique sur sa situation d’artiste tunisienne travaillant à l’étranger. Chaque œuvre poétique et fragile remettait subtilement en scène les difficultés de trouver et défendre les espaces de son expression propre en tant que femme, pour faire respecter l’égalité des sexes, au cœur de la diaspora de l’art contemporain africain.