« Si loin si proche », aurait-on envie de murmurer au sujet du moléculaire et de l’atomique qui peuplent le monde et fondent le visible. L’infiniment petit. C’est, cette année, la question que pose le festival @rtoutsiders pour sa huitième édition consécutive à la MEP.
Territoires invisibles en est le titre. L’exposition accueille des œuvres aux projets très différents, traitant de la nanotechnologie mais aussi et d’une façon plus générale, de la question d’échelle et d’invisible. La vidéo Powers of ten de Charles et Ray Eames propulse le regard dans un voyage à travers les dimensions de l’infiniment petit du corps humain et de l’infiniment grand du cosmos. Dans une telle perspective, les œuvres exposées font l’objet d’une technique de pointe : FLW de Ken Goldberg et Karl Bohringer est une sculpture en silicone miniature reprenant la structure de la maison fallingwater de Frank Lloyd Whright, mais à l’échelle du 1/millionième ; Semiconductors synthétise une musique qui trouve correspondance dans un réseau de molécules, environnement miniature évoluant selon l’intensité du son.
Si les technologies employées, dans un premier temps, défient le visible par une élasticité accrue des structures mises en place, elles semblent néanmoins les héritières d’une technique plus largement employée, celle de la perspective. Il s’agit en effet d’une question d’échelle qui trouva pour quelques siècles formule et stabilité dans la pyramide perspectiviste de la Renaissance. Les tableaux offraient ainsi une hiérarchie des figures et objets selon leur position dans un espace tridimensionnel et surtout selon leur éloignement avec le point de vue du peintre. L’infiniment petit était l’extrêmement lointain tandis que les détails, plus proches, paraissaient gigantesques. Tout l’art consistait à rendre visible, ce qui à l’œil nu, était insaisissable parce que trop éloigné : tel éclat de lumière dont le reflet parvenait jusqu’à l’œil, telle silhouette détachée nettement sur le fond, telle profondeur atmosphérique laissant à nu la découpe d’une architecture…Si loin si proche…
Mais, si la perspective vit le jour, sous les impulsions de Brunelleschi et d’Alberti, grâce à la réunion de conditions techniques et économiques, le mythe directeur de l’infiniment grand et de l’infiniment petit semble toujours avoir accompagné la question du visible. La chute d’Icare (1558) de Bruegel, en utilisant les ruses de la perspective, réactivait un vieux mythe, rapporté par Ovide. Depuis le premier plan du tableau où des paysans travaillent au champ, se dégage un espace qui semble infini et qui s’ouvre sur le ciel et la mer. Mais, si l’attention se fait plus perçante, près d’un rocher, à côté d’un bateau amarré, on peut distinguer, presque en miniature, une paire de jambes appartenant à Icare, précipité dans l’eau par la fonte de la cire retenant les plumes de ses ailes. Pourtant, personne ne semble prêter attention à cette chute. Car la journée de travail plonge tous les personnages dans une certaine cécité. L’infiniment petit n’est pas toujours saisissable car on ne le voit pas. C’est aussi les particules élémentaires de notre inattention.
Au sein de l’exposition, territoires invisibles, Gregory Chatonsky propose un panorama cinématographique reconstitué à l’aide de scènes de films célèbres, l’immeuble de Fenêtre sur cour, la chambre de Dorothy de Blue velvet, etc…L’espace ainsi ouvert se dilate au gré de notre mémoire et de l’exploration de nos souvenirs. Microgrammes est une installation conçue par Thierry Coduys autour des manuscrits de l’écrivain Robert Walser. Son écriture est si minuscule qu’elle est difficilement lisible…faisant de lui, un Icare marginal dans la Suisse du 20ème siècle.