FIAC/SLICK/SHOW OFF…. FOIRES A LA CRITIQUE

Devant la diversité pléthorique de l’offre et tous nos confrères de la presse papier ayant dépiauté et restitué à longueur de numéros spéciaux visites guidées et communiqués de presse nous avons décidé de réagir à cette riche actualité parisienne par un article commun fait de chacun de nos coups de cœur dans le désordre de la jouissance esthétique assumée.

1 Impressions générales

Forte déception générale sur les propositions de la FIAC à la Cour carrée du Louvre, propositions bien inférieures en qualité et innovation que celles de l’an dernier, en revanche belle tenue de la partie Grand Palais qui joue de nouveau son rôle international à plein.
Un grand effort de sélection dans le sens de la qualité à Show Off qui poursuit son exigeant travail, dans un lieu central certes mais mal adapté à la présentation d’œuvres de grand format. Une programmation vidéo de haute qualité avec les choix du Cube et de Madeleine Van Doren pour Le Fresnoy.
Impression bordélique à la descente de la rampe du Centquatre pour Slick avec des espaces trop restreints, puis de chaque côté des stands dignes et une brochette de galeries confirmées et de plus jeunes opérateurs qui comptent.
Le prix citron des attachés de presse méprisant les revues en ligne à Art Elysée malgré quelques galeries plus classiques et de qualité qui poursuivent un travail de fond.

2 En chemin vers la FIAC aux Tuileries, Pistoletto

Le miroir, matériau fétiche de l’artiste italien Michelangelo Pistoletto, utilisé comme dédoublement du monde et reflet du spectateur dans l’œuvre, est absent dans son installation Spazio Libero, cage métallique impénétrable réalisée avec et par les prisonniers de San Vittore à Milan. Et pourtant, cette prison en acier de 450 x 600 x 600 cm., installée au milieu de l’allée centrale du Jardin des Tuileries, à l’occasion de la FIAC, aborde le même principe de la création selon Pistoletto, en situant l’œuvre entre le lieu de l’image et le lieu de la vie.
Ici, comme pour les installations aux miroirs, le spectateur, ne pouvant pas y pénétrer physiquement, s’y projette de sorte à créer un espace mental qui ouvre de nouvelles perspectives.

Paul di Felice

3 Les territoires de l’Unreal Declerq–Faustino FIAC, Carré du Louvre

Un panneau de bois mélaminé, noir, est criblé de trous soigneusement alignés. Les impacts régulièrement espacés découpent la surface en damier. Les balles ont fait sauter la mélanine par plaques et forcé l’intérieur de l’aggloméré, découvrant des copeaux de bois désagrégés. Les petits cratères de sciure surplombés par des zones de résine, épargnées, évoquent des villes détruites par des missiles ou des lance-roquettes. Le titre « Borders Lebanon » n’étonne pas.

Un panneau de bois mélaminé, blanc, de format semblable, est légérement boursouflé. Par endroit la surface se craquelle ; elle a été enfoncée par l’arrière. En se fissurant et se détachant la pellicule de bois forme des lettres en relief. Blanc sur blanc les mots se perçoivent autant qu’ils se devinent : « State of Unreal ».

La première pièce d’Alain Declercq, la seconde de Didier Faustino, n’ont pas grand-chose de commun sinon ce bois industriel composé de fibres et de débris – propices à simuler des ruines, sinon ces simulations guerrières qui ont envahi le monde virtuel, « The State of Unreal ». L’un joue avec son 22 long rifle, l’autre à instituer le territoire de l’Unreal ; les deux avec des matériaux de pacotille. Sans se connaître, les deux pièces renvoient l’une à l’autre et se laissent décrypter l’une par l’autre.

Didier Faustino : 180 cm. x 150 cm., présentée par la galerie Maubrie,
Alain Declercq : 250 cm. x 250 cm., présentée par la galerie Lovenbruck.

Gaetane Lamarche Vadel

4 L’identité slovène, Galerie Isabelle Gounod, Show Off

Des nouveaux venus à Show off 2008, comme la Galerie Isabelle Gounod qui accompagne et soutient depuis sa création en 2004, de jeunes artistes émergents dans la diversité de leurs modes d’expression. L’opportunité de découvrir le travail d’Antea Arizanovic, issue de la jeune génération d’artistes slovènes, dont l’enjeu est de repenser la question d’identité sur un ton ironique ou dans toute sa gravité. Photographie et performance participent d’un même fil conducteur pour exploiter la perception du corps dans nos sociétés guidées par la consommation. Esthétiquement, la série Walk in a circle, présentée pour l’occasion, nous séduit littéralement. Enigme apparente entre ce corps féminin lisse et parfait replié sur lui-même à l’intérieur d’un rectangle de verre, et tout le sérieux du propos dénoncé par l’artiste : troubles identitaires de l’humain dans une société en mal de vivre, exploités ici avec une vérité nue.

Marie Pïcard

Légende IMAGE

Walk in a circle, photographie tirage lambda, 100 cm. x 77 cm., 1/5, 2007.

5 Loin des memento mori les événements de Christophe Keller et Alexandra Mir

Le crâne de Damien Hirst ayant fait des émules, le memento mori en take away attendait le visiteur au détour de chaque stand. Cependant certains artistes respirent encore. A la galerie Habana, la simplicité formelle d’une vidéo de Felipe Dulzaides rappelle la légèreté, dense et profonde, des travaux la Brésilienne Lygia Clark. Dans « Blowing things away » différentes personnes s’emploient à souffler sur le monde, provoquant le frémissement du feuillage, déplaçant une petite balle à l’aide d’une courte et puissante expiration ; flux invisible, à la fois discret et puissant, efficace ou faillible. Toujours à Show Off, la galerie Ilka Bree présentait plusieurs travaux de l’artiste Christophe Keller – aussi présent à la Fiac (Fonds d’art contemporain de la Ville de Paris). Keller, de formation scientifique, a réussi à recréer un appareil à même de modifier le climat. Le Cloudbuster est à l’origine un projet du psychologue et sexologue Wilhem Reich qui décida, en 1953, de détruire ses plans pour éviter un détournement à des fins militaires de son projet, au départ humanitaire (augmentation des précipitations sur certaines régions du globe). Une fois reconstruit Keller a posé le Cloudbuster sur le toit de PS1 à New York provoquant une augmentation sensible des pluies. La galerie présente les photographies de ces mises en situation. Derrière ses recherches, le plasticien allemand travaille avant tout sur les détournements possibles des avancées de la science que celle-ci soit fondamentale ou appliquée. Si les évolutions climatiques ne connaissent pas de frontières, Keller sait que la météorologie peut pénétrer le champ du géopolitique.

Aérien encore à la galerie Laurent Godin où étaient exposés à la Fiac des photographies des « Plane Landing » d’Aleksandra Mir. Gonflé à l’hélium, un avion aussi imposant que factice fait l’objet de fluides atterrissages orchestrés dans différentes capitales sur fond de carte postale. A Paris, l’avion s’écrase lentement dans les Jardins des Tuileries ou devient flaque devant le palais du Trocadéro. Bien plus que sur les choix formels, l’œuvre d’Aleksandra Mir se construit sereinement autour de la notion d’événement. Cette Alice aime jouer avec les échelles – parapluie géant, baudruche gigantesque, femme dans l’espace – mais avant tout avec son public, le regardeur restant le trait commun à son travail. Nous nous prenons au jeu avec plaisir.

Hugues Jacquet

6 De la philo selon Pascal Lièvre et de la famille vue par Marina Abramovic

Nous savions depuis la version karaoke vidéo de Lacan/Dalida que Pascal Lièvre était notre seul artiste susceptible de rendre la grande philosophie non seulement accessible à tous mais bandante. Il s’y colle à Show Off dans le cadre de la galerie Vanessa Quang. Une ligne de sous vêtement pour hommes, les grands textes pris en main en collection de poche et le tour est joué. De ses collapses aussi approximatifs qu’efficients souvenons nous il y a deux ans de madonnabramovic lucky star, performance de body art, donnée à la première de Show off, étoile tracée au cutter sur le ventre de l’artiste se présentant en jupe blanche pour ce playback de Marina « Thomas Lips » en 1975. La philosophie s’incarne dans le boudoir de la foire. Et comme en écho à la FIAC : galerie Beaumontpublic, Luxembourg.

Marina Abramovic
8 lessons of Emptiness with a Happy End
Catalogue co-publié par les galeries Guy Bärtchi et Beaumontpublic

En ouverture du livre l’artiste reproduit quelques images anonymes ou signées de la violence du monde comme une illustration du livre de Susan Sontag, « Devant la douleur des autres ». En 2006 elle se rend au Laos dans l’ancienne capitale Luang Prabang, elle décide d’y mettre en scène avec des armes en plastiques importées de Chine les jeux de guerre réelle des enfants dans la boutique studio d’un portraitiste local. En posant elle-même avec ces enfants pour cette série intitulée Family elle se postule en mère universelle, de même qu’elle revendiquait son rôle d’icône sexuelle Mittle Europa. La galerie luxembourgeoise, qui défend aussi bien Jan Fabre que sa très talentueuse compatriote Sue Mei Tse, présentait à la FIAC ces tirages ainsi que les vidéos montrées en installation avec les chutes d’eau du pays.

ISBN 978-2-919925-48-3

www.beaumontpublic.com

7 UNE GALERIE : MOTTE ET ROUART, SLICK

Pour saluer l’ouverture d’une galerie qui se distingue par ses choix, et qui ouvrira en novembre 2008 au 74 de la rue Quincampoix.

UNE ŒUVRE

Mon choix de présentation sera une grande toile de 60 x 114 cm., de Nathan Ritterpush, « I Believed All Her Lies – The Breadcrumbs Are Gone, Oil on canvas ».
Peinture traitée comme de l’image vidéo et faisant passer avec force un sentiment de « panique au fond du bois », force accentuée par le floutage de l’image ajoutant une expression de stress intense, lisible sur les visages d’une jeune fille et de son double dans une forêt « amazonienne » ; une manière de peindre et de faire passer les émotions très contemporaine.

Jacques Robert

8 De la photographie à SLICK O8

Heureuse expérience que celle de découvrir la version 08 de Slick au Cent Quatre.
D’une part parce que la version 07 était prometteuse et que celle de 08, augmentée (52 galeries) offre un début de réconciliation avec une rencontre calme et simple entre curieux (amateurs ou professionnels) et galeristes relativement disponibles à tous et ouverts à la démarche de leurs artistes.
Sans œuvres révolutionnaires, belles découvertes tout de même à Slick que la galerie rouennaise de Jérôme Ladiray avec, entre autres, le travail d’Alix Delmas, la galerie Defrost et l’intelligence subversive du travail « photographique » d’Erick Derac, le beau choix de la jeune galerie LHK à Paris, de la galerie barcelonaise ADN, d’Annie Gentils Gallery à Anvers avec le splendide univers de Dirk Zoete, ainsi que la belle démarche de la galerie Sémiose qui est capable de mettre à disposition de tous des multiples à 100 euros des plus intéressants artistes connus ou non (Olivier Mosset mais aussi Françoise Pétrovitch ou Peter Downsbrough…) mais encore de proposer une œuvre moins connue de Jean Dupuy…

Enfin, à questionner de manière plus critique : la photographie y est moins envahissante mais y apparaît plus justement lorsqu’elle est mise en perspective avec la sculpture, le dessin, … et en revanche moins valorisée lorsqu’elle voisine avec elle-même comme chez Hagalerria (même si Ben Loulou et ses nouveaux formats tient toujours et si l’on peut avec un rien d’attention découvrir l’ébauche de travail de Yigal Feliks). Dommage aussi que l’accrochage de DIX9 noie Anne Deguelle, et Deidi von Schaewen dans un choix irrégulier…
Mais ce sont justement ces différences là qui font tout l’intérêt de cette jeune foire, heureuse tant dans sa dimension humaine que dans celle de ses acteurs engagés. Encore un petit effort pour l’accueil et le fléchage pas toujours efficaces. Espérons enfin que les travers consuméristes de ses aînées ne gagneront pas Slick dans ses prochaines éditions.

Michelle Debat

9 Les portraits chocs d’Antoine Schneck

Le portrait photographique est un genre en renouvellement constant. Pourquoi certains sont-ils plus prégnants que d’autres ? Dans les allées de cette deuxième édition du Salon Art-Elysées (présidé par Baudoin Lebon) si riche en découvertes, on ne pouvait manquer une série insolite proposée par Antoine Schneck à la galerie Berthet-Aittouares. Soit une succession de portraits d’hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions, africains ou chinois, tous photographiés selon le même dispositif frontal, faisant surgir le seul visage de face, en couleur, se découpant sur le fond noir brillant d’un tirage Diassec – Un fonds qui exaspère le noir des peaux les plus sombres. La hauteur de ces tirages en grands formats (107 x 80 cm.) magnifie ces visages, qu’ils soient rayonnants de jeunesse ou burinés par les années et leur donne une densité quasi sculpturale. Privés de fard et de tout autre attribut vestimentaire, placés en pleine lumière, ces visages africains ou chinois livrent leurs secrets les plus intimes, de la moindre ridule aux poils les plus menus d’une barbe, même si la peau d’une centenaire prend l’aspect d’un parchemin, y compris sur les mains. L’objectif les saisit, tels qu’en eux-mêmes.

Pourtant nulle trace de défense, ces visages se livrent sans crainte. Pour les photographier, Antoine Schneck soustrait ses modèles à tout autre regard que le sien en les installant à l’intérieur d’une tente translucide, comme dans un cocon de lumière, une « chambre blanche ». L’échange peut alors s’établir en confiance, le regard se libère, le masque tombe. Une forme d’approche respectueuse, où le photographe voyageur se défend de toute prise de pouvoir. Qu’ils surgissent de Chine ou du Burkina-Fasso, les portraits de ces hommes et des femmes peuvent alors se charger de tout leur poids de vie et d’humanité. Si semblables et si différents. Dans le silence, les bras repliés, Chen Nai Ben, l’une des femmes chinoises de la minorité Miao esquisse même un léger sourire.

Pascale Lismonde

Antoine Schneck expose ses photos à la Galerie Berthet-Aittouares,
29, rue de Seine, 75006 – Paris 01.43.26.95.66, www.galerie-ba.com
Voir aussi son site, www.schneck.fr

10 Et en prime une exposition de collectionneur

Dans les locaux en travaux de la Compagnie de Phalsbourg et ce, sous une initiative de Philippe Journo (collectionneur), une exposition éphémère (du 21 au 26 Octobre 2008) regroupant des pièces d’Eric Baudart et Laurent Grasso, s’est tenue pendant le Fiac. Ces œuvres ont investi l’espace en friche, questionnant l’esthétique contemporaine face aux matériaux de l’architecture, confrontant l’art à la vie. On aurait pu craindre une disparition partielle de certaines œuvres activant des matériaux bruts ou saisissant, à l’instar des grandes photographies d’Eric Baudart, le détail de matières de synthèse. Mais il n’en est rien, au contraire : les grandes plaques de verrane et mat de verre imbibées de résine polyester et teintées de pigment de bleu de Prusse intallées par Eric Baudart au centre de l’architecture, créent un vortex glacé dans le chantier, territoire subjectif dans l’espace impersonnel du « on » de nos techniques.

Daphné Le Sergent

Philippe JOURNO collectionneur
Exposition du 21 au 26 Octobre 2008
Locaux de la Compagnie de Phalsbourg
22, Place Vendome, 75001 Paris