Plusieurs expositions pour le cinquantième anniversaire du mouvement fluxus, soulignent combien le mot est un outil premier de la déconstruction systématique des pompes artistiques. Si les conceptuels utilisent le mot comme une alternative au fétiche que constitue l’œuvre d’art, Fluxus emploie le langage comme un en-deça, une simple proposition, parfois une moquerie.
A Lyon d’abord, on trouve, en marge de l’exposition Cage/Satie, une exposition de Georges Brecht. L’exposition est constituée principalement à partir des collections du musée, le parti pris est ludique mais fondé : Les events que Brecht produisait sous forme de cartes portant des instructions, des scores inspirés des partitions de Cage, sont présentées en dehors des salles d’expositions. Les events sont « mis en œuvre » sous des formes simples, interprétés, parfois de manière littérale, mais finalement en contact avec la dimension quotidienne, infra-mince que recèle les propositions de Brecht. On retrouve ainsi les pièces dans les couloirs, dans des espaces intermédiaires qui conviennent bien à ces pièces ouvertes et discrètes, avec le plaisir de noter certaines presque subliminales, telle cette pièce musicale qui consiste à poser un bouquet de fleur sur un piano.
A Saint-Etienne, l’exposition du Musée d’art Moderne propose plusieurs grandes salles consacrées aux œuvres robots de Paik et aux installations et collages de Vostell. Mais c’est finalement la plus discrète présentation d’un ensemble important de fluxbox et des pièces modestes de Filliou notamment qui font tout l’intérêt de l’exposition. Fluxus résiste, c’est sans doute une qualité, à l’espace muséal. Il faut aux œuvres Fluxus un écart, celui entre le mot et l’objet, entre le correspondant et le destinataire, entre ce que promet l’étiquette et ce que contient la boîte. Montrer Fluxus c’est sans doute montrer cet écart qui porte avant tout sur la communication, et dont le cœur de la production est finalement un ensemble de produits dérivés, des affiches, des catalogues, des annonces, un ensemble qui trouve une place et un écho dans la ville qui fut longtemps connu pour l’institution que fut le catalogue de Manufrance. Le catalogue comme forme finale du travail est un fantasme Fluxus, mais il trouve déjà son origine chez Duchamp qui disait à propos de la boîte en valise : « Le travail de toute ma vie tient en une seule valise. Peut-être était-ce un regret de ne pas avoir fait un catalogue Manufrance. »
L’exposition du Musée stéphanois a trouvé sa modalité idéale dans une activation réalisée par le groupe Ornamental film, éditeur de la revue Four Star et organisateur d’événements cinématographiques. Plongeant le musée dans le noir, le groupe proposait plusieurs une sorte de conférence sauvage et plusieurs projections, allant d’un film Dada à un épisode de Roadrunner. Sans le maniérisme des commémorations laborieuses, il s’agissait là d’un pur renversement fluxus, une remarquable remise en jeu du musée par le blackout, presque un geste zen, l’électricité coupé rappelant volontairement ou non les déboires de Maciunas avec cette profession.
Le mot, mais donc le mot dit, écrit, le langage, le mouvement, l’écriture. A Paris la galerie incognito présente une série de toiles signées de Ben et de Charles Dreyfus. Les toiles à quatre mains (ou plutôt a six) propose un mot de Ben dans la partie supérieure et dans la partie inférieure le mot repris par Charles Dreyfus et proprement réécrit par un peintre d’enseigne. Avec le peintre en enseignes et l’art du calembour, c’est encore Duchamp qui fait surface avec ce qui peut être la partie la plus irréductible de son travail, sa pratique du jeu de mot, une pratique pauvre et qui reste, elle-aussi des plus difficile à montrer. À quelques pas de la galerie Incognito, Ben expose en solo chez Lara Vinci. Là encore c’est moins le texte qui importe que l’écriture et son mouvement.