Cet automne 2010, la photographie américaine est à Lyon. Pour sa sixième édition, le festival Lyon Septembre de la photographie propose sa vision des Etats-Unis d’Amérique à travers un titre programmatique et polysémique (également polémique) : US TODAY AFTER.
US, nous, TODAY, maintenant, AFTER, après …
Après quoi ? That’s the question ?
Après l’héritage de plus d’un siècle de photographie et d’expérimentations du Nouveau Monde, après Georges W. Bush, après Katrina, après le 11 septembre 2001, après la victoire de Barack Obama… autant « d’après » qui semblent résonner dans le parti-pris de la sélection des quelques photographes dans cette édition concise et précise. Si le choix gravite essentiellement autour de la guerre (Vietnam, Irak, Afghanistan) et de ses traumas, le festival cherche à explorer cette thématique à travers un type de traitement photographique : une vision documentaire appartenant au monde de l’art.
L’exposition emblématique à la galerie IUFM-Confluence(s) condense à merveille cette ligne : Nina Berman (Obama train), Suzanne Opton (Soldier +Citizen), Paul Shambroom (Shrines : public weapons in America) et Paul Fusco (RFK Funeral Train). Jeffrey A. Wolin et son travail sur les « Vietnamese War veterans » présenté à la Fondation Bullukian est à rapprocher, également, des quatre autres photographes mentionnés précédemment. Tous, ils racontent une histoire de l’Amérique contemporaine.
Regardons de plus près. Prenons le temps de la pause. Il est « frappant » de constater que les petits tirages de Paul Fusco sur le rapatriement ferroviaire du corps de Robert Kennedy, le frère d’un Président incarnant tant d’espoir et si rapidement disparu, sont « incroyablement » colorés. Les vêtements des badauds, les détails (drapeaux etc.), les édifices, de par leur couleur, aiguisent le regard. Serait-ce l’effet « vintage seventies » ?
En tout cas, si le sujet est triste, sa plasticité le rend attractif ! Et pourtant, c’est bien le deuil qui est traité par la série de Paul Fusco.
En miroir, sur une cimaise perpendiculaire à la série « RFK Funeral Train », est accrochée la série de Nina Berman prise le 17 janvier 2009, dans le train amenant Barack Obama de Philadelphie à la Maison Blanche pour sa future investiture présidentielle. Le ressenti est immédiat : il peut s’exprimer par un adjectif qualificatif, terne.
Nina Berman est dans le train comme Paul Fusco. Et, elle photographie les citoyens américains se dressant le long de la voie. Mais, elle photographie par temps triste et morose, elle élargit les champs de visions, elle choisit des sites délabrés, grisâtres… elle miniaturise les « regardeurs » comme s’ils étaient des petits personnages peints à la main posés sur une maquette de train, que les enfants construisent en jeu. Elle « manipule » en quelque sorte.
Certes, des considérations techniques peuvent expliquer ce curieux paradoxe de réception. Le train transportant Barack Obama circule très vite et les vitres sont teintées alors que le train funéraire roule avec la lenteur appropriée des convois mortuaires. Toutefois, cela n’explique pas tout. Et là, se pointe l’intention du photographe et du commissaire d’exposition. Paul Fusco photographie toujours sous le même angle et avec la même distance. Certains spécifieraient instinctivement à la mise en place d’un dispositif, lié aux contraintes. Les images apparaissent linéaires. Le choix des images effectué par le commissaire et leur accrochage très serré peuvent faire croire à ce que les théoriciens usent « à tour de mots et de manivelles » à un dispositif, voire un protocole. Il est fort possible que Paul Fusco a adopté ce dispositif, car cela en est bien un, sans y réfléchir délibérément.
En revanche, Nina Berman utilise un subtil dispositif, et celui-là semble bien être intentionnel. Elle cherche à éviter l’uniformisation du point de vue et à créer un désenchantement, un malaise, un trouble dans la perception première de la victoire aux présidentielles du candidat démocrate noir. Ici réside aussi la force de l’accrochage de cette mise en parallèle (en perpendiculaire) des deux séries dont la lecture révèle ce que peut être la photographie, une pratique oscillant entre l’art et le document comme le prophétise avec intensité le commissariat subjectif de Gilles Verneret, Directeur artistique et fondateur de Lyon septembre de la photographie.
En effet, Nina Berman témoigne de l’Amérique de 2009, avec sa subjectivité. Ses intentions se dévoilent à travers sa prise de vue et son « éditing ». Si Barak Obama incarne de nouveaux espoirs, un nouveau rêve américain, la photographe nous met à distance de par son intention formelle. Distanciation critique salutaire. 2009, une victoire, des espérances ; mais Nina Berman attend de voir, une fois, le nouveau Président installé au pouvoir. Son reportage invite aux questionnements sur le politique et son rôle dans les changements sociétaux en ce nouveau millénaire. La réforme du système de santé pourrait être un indice dans cette attente de changement et apporter « « une touche colorée »…
Il est évident que nous nous arrêtons de manière détaillée (comme si nous étions stoppé net par « un chef de gare » consciencieux, à la suite d’un accident), sur la réception des deux séries « Obama Train » et « RFK Funeral Train », mais nous pourrions poursuivre la même démarche attentive, analytique, sur l’impact des têtes de soldats posées sur une table invisible de Suzanne Opton, ou les chars d’assauts et autres armements militaires dressés en guise de « monuments aux morts » (le missile américain serait-il l’équivalent de la statuaire républicaine française ?) dans les places publiques américaines de Paul Shambroom. La richesse de cette sixième édition vient notamment de cette minutie et de ces possibilités fines de regards croisés.
Loin des travaux documentaires de ces photographes, le reportage sur la guerre est aussi présent, dans le commissariat associé (nouveauté de cette édition), par un grand reporter du photo-journalisme américain dans ce festival, James Nachtwey, exposé à la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu. Que dire ? La presse est unanime (de la chronique photo de Luc Debesnoit dans Télérama à médiapart) et les amphithéâtres et les soirs de vernissage sont combles. Sans doute, il est bon, alors, de se taire un peu (silencio) et renvoyer le regardeur à lire l’essai de Philip Gefter, « Photography after Frank » (Aperture, 2009 – non traduit en français) et aux pages consacrées au photojournalisme pour saisir qui est James Nachtwey et son héritage. Si l’émotion l’emporte dans les images fortes, voire trop « prenantes », l’incroyable habilité de saisir un moment vif et « pénible » avec une qualité technique digne d’un travail de studio (à la Grégory Crewdson) fait que cet homme placide, altier, droit et peu bavard détonne dans le milieu du photoreportage et se positionne au-dessus de la mêlée du tout venant d’un flot incessant d’images médiatiques.
Pourrions-nous mesurer la frontière entre la photographie de reportage journalistique et la photographie documentaire (hors des médias) trop souvent « coincée » dans les galeries et musées à l’aune de la quantité de publics ? La semaine d’ouverture de US TODAY AFTER nous y invite fortement.