Pionnier de la couleur, Fred Herzog l’est dans une vision très personnelle de sa ville adoptive de Vancouver où il réside depuis 1953. Le Centre Culturel canadien l’accueille durant cet été 2008 pour une exposition monographique d’importance qui retrace ce parcours d’une sensibilité exceptionnelle.
L’histoire de la photographie au niveau mondial que l’on pensait bien repérée dans la seconde moitié du XX° siècle nous réserve ainsi encore d’heureuses surprises et pas seulement dans les pays dits émergents. Fred Herzog né en Allemagne en 1930 s’installe en tant qu’émigrant dans la capitale de la côte ouest du Canada. Alors que la création en photo de rue se pratique à l’époque en noir et blanc il décide d’aborder tous les aspects de Vancouver en diapositives. Contemporain de l’école de New York et de l’école de la rue et soucieux de l’antériorité de ses initiatives, il ne reconnaît qu’à Helen Levitt une pratique semblable à la même époque. Encore que dans la préface au livre « The color photography of Helen Levitt, Slide Show » paru chez PowerHouse Books en 2005 John Szarkowski attribue cette série aujourd’hui disparue à la période 1959-1960, les œuvres reproduites datant des années 70. Il faudrait attribuer de semblables initiatives à Gary Winogrand et à Saul Leiter. Les quatre en tous cas précèdent et annoncent par la même occasion l’école coloriste américaine de « New color New works ».
Dans cette approche des sources Fred Herzog voue une véritable passion au travail de Walker Evans mais n’a découvert que récemment la proximité de son univers avec celui d’Eward Hopper.
Si à l’époque il n’a pas eu toujours la possibilité de faire réaliser les tirages d’après ses diapositives il en avait trouvé la parade en produisant des slide-shows, qu’il a présenté publiquement. Les vues qui l’intéressaient le plus ont fait l’objet d’interprétations en version papier avec le procédé sensuel du c-print. Aujourd’hui ses œuvres scannées sont traitées de façon remarquablement soignées en tirage à l’encre. Quand les couleurs en sont saturées comme cette foule descendant une rue du quartier chinois la matière en évoque avec une tactilité un peu moins agressive les tirages carbro, portrait et publicité, de Paul Facchetti qui leur étaient contemporains. Aux Etats-Unis comme en Europe le monde d’après la guerre se porte ainsi plutôt haut en couleurs, cette exposition en témoigne.
La vision elle se joue près du corps, ceux des passants de Main Street l’artère principale qui déroule ses trottoirs comme un praticable de mode où chacun vient faire son petit tour pour une élégance au quotidien. Dans les quartiers périphériques les corps sont plus jeunes et beaucoup moins en représentation comme ces enfants devant une épicerie qui sont les frères des gamins américains préférés d’Helen Levitt. L’art d’Herzog est de savoir détacher sur le fond coloré des boutiques de la rue de si rares silhouettes.
Dans sa vision familière Vancouver apparaît comme une ville portuaire composite, diverse dans son approche ralentie de la modernité architecturale, où des maisons encore à taille humaine aux façades colorées ne sont contrebalancées que par la verticalité rare de quelques tours.
Si Fred Herzog est pour moi l’héritier singulier de de Walker Evans c’est sans doute dans ses frontispices de vitrines, de part et d’autre de leur frontière perméable se développe une chorégraphie minimale où le langage corporel des vendeurs et clients raconte les mini-événements de l’humain. Cette dramaturgie cinégraphique programme par la couleur des scénario moins fictionnels que ceux d’Hopper. Ce qui se joue là c’est une certaine qualité de vie dans le respect des autres communautés, la photographie vue à travers un œil bienveillant tend un miroir créatif à une ville dans toutes ses mutations.