Pour son soixante dixième anniversaire le Salon Réalités Nouvelles poursuit son évolution avec une scénographie générale plus clairement organisée, des œuvres qui prolongent l’interrogation sur les formes actuelles de l’abstraction et ses limites esthétiques. Si du côté des exposants les productions peintes se renouvellent moins que celles des autres techniques la proposition globale s’enrichit grâce au dialogue avec la partie art/sciences et aux jeunes invités issus des écoles d’art. Parmi eux la pièce de Camille Sauer, actuellement en avant dernière année de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris a retenu l’attention de notre rédaction pour sa singularité et ses qualités de questionnement des rapports mondiaux.
Camille Sauer s’appuie sur des protocoles de travail longuement élaborés et physiquement explorés qui aboutissent à des mises en formes variées exploitant des techniques aussi diverses que la musique, l’écriture ou l’installation. Son vocabulaire plastique se fonde sur des variations influencées par des logiques mathématique ou géométrique de blanc, de noir et de rouge, toutes couleurs qui marquent la communication comme l’ont prouvé les œuvres de Barbara Kruger. Tentant d’approcher des phénomènes sociétaux l’artiste met au point des partitions plastiques qui ont pour but de rendre la présence du spectateur plus dynamique. Pour ce faire elle a recours à des logiques ludiques ou scientifiques qui interrogent les fondamentaux humains.
Au croisement des composantes individuelles et sociétales elle développe actuellement son projet musical ADN Additions et Dynamiques Nouvelles. L’installation présentée à Réalités Nouvelles s’appuie sur des supposés proches où se mêle le micro et le macrocosme. Intitulé Porter sur soi les affaires du Monde elle se présente comme une table de jeu qui incite à deux attitudes, l’une plus contemplative Regarder longuement renvoie à l’attention personnelle aux faits tandis qu’à l’autre bout de la table Eclairer longuement suppose une attitude plus médiatique. De façon plus générale les deux types de comportement peuvent être aussi référées à l’opposition entre réformisme et volonté révolutionnaire.
Cette logique du jeu de société avait déjà engagé au moins deux œuvres précédentes. La plus ancienne Parti-sans était aussi tabulaire dans sa mise en partie des enjeux politiques. Plus récemment Mundus bâtie sur le modèle de l’alquerque, ancêtre du jeu de dames était présentée au mur. Pour régulariser la partie, la dynamiser un métronome surplombe le damier. C’est une autre règle qui gère Pôle-étique : des bâtons rouge, noir et blanc sont décorés de petites photographies de presse, l’artiste vient performer ces « gendarmes » d’un petit théâtre de l’événement qui lui font sonner les trois coups. Reposés au sol ils réoganisent la logique de lecture du monde. Dans chacune de ses œuvres contrairement au film de Sofia Coppola elle tente de nous trouver dans la traduction d’un monde à un autre, d’une logique à sa complémentaire. Comme le suggère le titre d’une autre installation à performer son développement se veut toujours Transe-Actionnel.
De même que de plus en plus de jeunes artistes se lancent dans un post-féminisme, aux protocoles plus subtiles moins directement militants, Camille Sauer fait partie d’une nouvelle génération qui interroge les enjeux politiques internationaux dans un engagement qui prend les masques de jeux savants où le spectateur se doit d’intervenir pour bousculer la géométrie trop bien réglée des accords déjà joués. Une autre petite musique respectant l’individu et les unités étatiques doit se faire entendre, c’est pourquoi même si l’art est un sale boulot Camille Sauer s’y colle avec subtilité, finesse et talent.