Invitée à proposer une exposition en tant que curatrice, Barbara Schroeder réunit des artistes montreuillois autour de la terre, une matière au cœur de sa démarche artistique. Leurs œuvres font écho au rhizome et nous incitent à nous relier au vivant. Du lichen, du bois, des coquilles d’œuf, du lin, du verre, ces éléments naturels se découvrent progressivement dans l’exposition. Des œuvres sur papier, des sculptures témoignent également des interactions au sein de paysages… nous invitant à découvrir leurs mystères.
De ses premiers échanges avec les artistes, des liens bienveillants et des réflexions se sont tissés. Comme geste pour inviter à se connaître, Barbara Schroeder leur a offert une sculpture de pomme de terre en porcelaine, récurrente dans son travail artistique. Certains ont pris soin de rendre hommage à ce cadeau, symbole d’une véritable complicité qui s’est instaurée. Un chapelet de pommes de terre en porcelaine de Limoges nous accueille et porte en lui les souvenirs des gestes des glaneuses qui sortent de terre ces tubercules.
« Je voulais qu’on s’immerge dans un univers avec des surprises inattendues » me confie l’artiste-curatrice. Les artistes sont tous « à même la terre », sur un terrain d’égalité, chacun ayant apporté à l’autre dans cette diversité de pratiques et de points de vue autour de cette matière, témoin des paysages. Nous circulons dans l’exposition en prenant le temps d’observer au plus près les fragments du monde naturel, leurs processus de croissance et leur caractère éphémère.
Notre regard commence à se poser sur les œuvres d’Édith Baudrand, qui a fait l’expérience de travailler le verre pour sa sculpture organique Bereshit, évoquant la genèse de l’être vivant, l’embryon, la cellule qui se démultiplie. En écho, ses encres sur papier présentent un univers d’une grande douceur et une fluidité qui rappelle la transparence du matériau utilisé. Sophie Lecomte unie l’animal et le végétal dans ses œuvres Cambium réalisées à partir d’éléments naturels. À partir d’écorces récupérées qu’elle recouvre de coquilles d’œufs, des métamorphoses apparaissent. L’artiste tente de réparer ou d’hybrider les règnes tout en donnant une force aux fragments quelque peu fragiles. En levant le regard, le monde racinaire de Sidonie Rocher se révèle. L’artiste fait surgir la mémoire de moments de son enfance passée à la campagne.
Dans « la pièce animale », telle que la nomme Barbara Schroeder, nos sens sont en éveil. L’odeur est très présente et nous incite à nous rapprocher du vivant. Elle réunit une partie de son travail autour de la bouse de vache, un matériau qu’elle a rencontré lors d’une résidence. L’artiste porte son attention sur le monde paysan et rend hommage aux agriculteurs et aux animaux qui façonnent les paysages. Dans ses œuvres Misterien, (Mystères en allemand : (M)IST (Mist = fumier et IST = être), les bouses deviennent des éléments de construction aux différentes couleurs selon le lieu et les conditions climatiques de la récolte. Elle en fait un élément géométrique : des briques ou des volumes de différentes formes sont assemblés en équilibre. L’installation de Xavier Servas évoque la respiration tout comme elle nous intrigue par les formes qui se gonflent et se dégonflent. Des vessies de bœufs tannées respirent et captivent notre regard par leur mouvement hypnotique. Nous sommes alors conviés à prendre le temps de considérer l’altérité, ici le monde animal.
« Mettez une pomme de terre à l’oreille et vous écouterez la terre », cette phrase qui interpelle l’artiste-curatrice a guidé Xavier Servas à créer une œuvre à partir des sculptures en porcelaine qu’elle lui a confié. En se rapprochant de ses sculptures blanches, un son tellurique et des bruits d’animaux se laissent entendre. Barbara Schroeder affirme « porter un autre regard sur l’ordinaire ». Les dessins de la série Sources de Yann Bagot témoignent de l’interaction entre l’eau du littoral marin et l’encre, rencontre génératrice de formes organiques. L’artiste travaille in situ et fait apparaître des mouvements, des remous, révélateurs de l’énergie des cours d’eau.
Nous retrouvons les pommes de terre dans l’installation de Valentin Abad : Une balançoire symbolise les relations entre les êtres, l’équilibre et le potentiel débordement. À côté, comme en suspens les sculptures délicates de Sidonie Rocher sont semblables à des cocons suspendus au ras du sol.
Dans la volière, d’autres sculptures de pommes de terre répondent aux dessins de Yann Bagot. L’artiste originaire d’Allemagne rend hommage à cet aliment qui a sauvé le pays de la famine. « La porcelaine rend humble car elle impose de considérer l’imprévu. » affirme-t-elle. Pour Barbara Schroeder, la pomme de terre propose plusieurs clefs de lecture et nous convie à songer à nos modes d’alimentation.
Dans cette exposition, il est question de notre perception des éléments naturels et de notre observation de ce qui est sous terre. Le triptyque intitulé Promontoires de Yann Bagot nous confronte à l’immensité de paysages de rocs. Ses dessins monumentaux, réalisés en résidence au Sémaphore de la Pointe du Grouin, en Bretagne en avril 2021, témoignent des réactions de l’encre de Chine avec le sel. Ses œuvres d’une grande force incarnent les différentes strates géologiques d’un sol qui se transforme et se régénère au fur et à mesure des années. Les éléments naturels sont observés de près par Sophie Lecomte qui prend soin de les utiliser de façon poétique. Elle invente un lexique carnivore, nommé Ramilles, à partir d’une association entre des bois flottés et des épines de rose. Son mur de lichen croît et se développe tel un rhizome.
L’installation met en évidence le processus de prolifération propre à cet organisme vivant. Les racines de pissenlit, de chrysanthèmes et autres déchets végétaux prélevés dans un cimetière, en porcelaine de Limoges composent un ensemble de sculptures de Barbara Schroeder. Celles-ci apparaissent tels des fossiles, des coraux, de nouvelles espèces d’une nouvelle ère géologique. « Ces œuvres disent beaucoup sur la fragilité de la vie » affirme l’artiste plasticienne. Elle continue de s’intéresser à la mémoire du mur de Berlin et aux artistes qui l’ont peint. D’où son expérience à partir du mycélium en collaboration avec une chercheuse à l’unité de Mycologie et sécurité des aliments de l’INRAE Nouvelle-Aquitaine : deux espèces de champignon construisent une barrière afin de se protéger les uns des autres. Plus loin, le mur de briques en bois de sapin de Valentin Abad symbolise la résilience de la matière et résonne avec l’œuvre de l’artiste-curatrice.
Cette exposition nous engage ainsi à prêter attention aux matières naturelles qui se développent et se multiplient, à prendre conscience de l’importance des interactions entre les espèces tout en étant dans une posture respectueuse face à ce qui émerge de la terre. Les formes rondes, symboles d’origine du monde, de noyau, d’œufs, de cocon, sont aussi récurrentes dans les travaux des artistes. Un soin porté à cette matière, cet humus, cette ressource se révèle notamment au travers de l’ensemble des œuvres. Les artistes nous donnent à voir ainsi qu’à penser ce qui germe sous terre et évolue au fil du temps.
De nombreuses rencontres et événements durant cette exposition nous amènent à écouter différentes personnes proches de la terre.