Cette troisième édition de ce Salon , se tenant au Molière , rue de Richelieu, ne réunit que des solo shows . Les deux directrices artistiques Emilia Genuardi & Elsa Janssen se sont adjoint les conseils d’Etienne Hatt , responsable de la critique photo à Art Press pour sélectionner 15 artistes représentés chacun par une galerie. S’y mêlent le détournement de pratiques plutôt classiques et des recherches plastiques sortant du cadre et gagnant l’installation.
L’idée d’intermédiaire entre salon et exposition est fort sympathique et habilement mise en oeuvre dans cet espace à deux niveaux, mais on ne peut que regretter la ridicule absence de carton pour des oeuvres accrochée dans des espaces communs, certaines sont faciles à identifier quand on revient dans l’espace réservé à la galerie d’autres restent plus mystérieuses. La communication à l’aide de cartons au format A5 avec une image occupant une moitié de la page est plutôt réussie. Il y manque et des infos pratiques sur la galerie et l’exposant , les galeristes tous très professionnels y ont remédié et l’organisation de l’espace encourage le dialogue.
« Il faut accepter de la voir (la photographie) laisser libre cours à son pouvoir de perturbation du réel et d’abstraction, de la voir mobiliser des matériaux et des supports non conventionnels mais chargés de sens, enfin, de la voir se frotter au volume et à l’espace pour sortir de la planéité qui semblait sa condition. » Etienne Hatt définit ainsi trois grandes directions de recherches actuelles.
La tendance lourde des image abstraites se confirme, elle vient en France plusieurs années après les recherches de l’école finlandaise notamment de la Helsinki School en ce domaine. Il n’empêche que l’on peut être sensible aux variations vibrantes et hautes en couleurs de Laure Tiberghien sur papier chromogène , ou apprécier l’expérimentations géométrique céleste de Thomas Paquet dans L’ombre des heures. Douglas Mandry quant à lui enregistre la matière de la glace avec ses photogrammes de neige imprimés numériquement sur du verre.
D’autres images singulières d’une nature à l’inquiétante étrangeté sont créées par Anaïs Boudot dont les images en quête d’une puissante matérialité inquiètent nos perceptions dans la mixité des interstices et seuils de vision. La force de ses images se trouve accentuée par la dimension poétique de ses titres qui témoignent de son engagement dans une aventure spirituelle.
On constate de nouvelles réitérations de la forme collage : à cotés d’images très décoratives My-Lan Hoang-Thuy produit des impressions jet d’encre sur peinture acrylique d’une réelle force plastique brute. Eléonore False crée d’élégantes formes évanescentes. La recherche la plus convaincante est celle de Lindsay Caldicott dont la découverte à la galerie Christian Berst Art Brut avait été un choc et dont le catalogue vient d’être récompensé par le prix Filaf pour Galeristes. Cette série Fragments et Fractales se donne comme des assemblages d’éléments de radiographies démultipliés
et créant des harmoniques colorées.
Un autre courant très représenté actuellement est celui de l’objet photo ; Nathalie Delbard dans le Art Press Hors série La photographie pratiques contemporaines l’évoque ainsi :
« Au delà des écueils techniciste et formaliste, l’objet photographique s’affirme comme une manière pour les artistes de récupérer la maîtrise de leur médium, et de lui restituer sa portée critique ».
Les images tissées de Cathryn Boch ont pour source des photographies aériennes, les vues anciennes de sites industriels, cartographies, plans, calques, et topographies reçoivent le même traitement additif que les images de presse qu’elle recouvre de sucre et dont elle souligne les contours de fils. Dune Varella mène sa réflexion sur l’architecture à travers des fragments céramiques imprimés et la reprise d’un immeuble en démolition sur une plaque de béton, dont certaines parties sont effacées. Florian Pugnaire & David Raffini recyclent des objets industriels pour créer de singulières ruines contemporaines sur des supports tels que des mélanges acier et cadres de ciments. Les objets de Benoit Jeannet ( Galerie Eric Mouchet ) appartiennent à son projet de recherche Escape from Paradise, dans lequel le Pacifique à travers l’iconographie et les mythes hawaïens s’incarnent à la fois dans des archives des années 1950 et dans des chemises colorées en époxy de la série Eyewitnesses of the noiseless flash. Dans une dimension plus ironique le britannique Jonny Briggs rectifie des clichés de famille pour Broken Nature en leur adjoignant des objets qui en modifient la lecture.
La quête identitaire de la sud africaine Lebohang Kganye (AFRONOVA Gallery) après le décès de sa mère est particulièrement touchante, à travers ses vêtements et ses clichés de famille elle mène peu à peu un passionnant travail de deuil qui se joue du performatif. Cette pratique mémorielle du ré-enacment crée ce que Régis Durand nomme « des images d’après coup ». Dans Notes sur la post-photographie Art Press Hors série il rappelle ce concept ’qu’il tire de la pratique de Boris Mikhailov dont il rappelle cette citation « En mélangeant le passé fictif avec le passé et le présent réels on parvient à un total, à une combinaison représentative de l’époque à laquelle on peut relier le moment présent. ». Ce remarquable ensemble vient d’être récompensé par le Camera Austria Award pour la Photographie contemporaine. Elle constitue une véritable révélation dans le domaine des quêtes identitaires et des cultural Studies.