La fondation Luma se revendique comme un centre culturel expérimental qui interroge les relations qu’entretiennent art, culture, environnement, éducation et recherche. Fasciné par l’architecture extérieure et intérieure la tour de Frank Gehry on ne peut qu’apprécier « L’exposition éphémère » qui recueille des oeuvres importantes de la collection de Maja Hofmann, « L’Archive » de Hans-Ulrich Obrist consacrée à Édouard Glissant, l’installation vidéo « Danny » de Philippe Parreno et sa pièce principale « No More Reality » qui réunit toute la filmographie de l’artiste. Tout cela reste cependant , au plus haut niveau certes, dans l’expérience habituelle de l’art contemporain. La différence absolue , l’oeuvre la plus extra-ordinaire incontestablement est la proposition « After Uumwelt » de Pierre Huyghe qui transfigure la Grande Halle.
« Je ne veux pas exposer quelque chose à quelqu’un, mais plutôt le contraire : exposer quelqu’un à quelque chose. »
Né en 1962 à Paris, Pierre Huyghe vit et travaille à New York il est représenté par la galerie Chantal Crousel. Impossible d’oublier en tant que spectateur le choc esthétique ressenti lors de son exposition au Centre Georges Pompidou à l’automne 2013. Ceux qui ont eu la chance d’assister au Skulptur Projekte de Münster en 2017 ont éprouvé le même sentiment d’une aventure artistique exceptionnelle. After Alife Ahead a transformé une ancienne patinoire en un étrange biotope intégrant des abeilles , des paons, un mollusque rare, des vagues et des cellules cancéreuses Hela. Son oeuvre poursuit une constante mise en question des systèmes culturels, biologiques autant que des pratiques de l’exposition. Les systèmes complexes et immersifs qu’il met en place sont initiés à partir de mélanges de formes de vie, d’objets sculpturaux et de technologies.
L’installation est une reprise de Umwelt présentée par Hans Ulrich Obrist, en 2018 à la Serpentine Gallery de Londres.En entrant dans la pénombre on retrouve, fascinants, les larges écrans LED qui diffusent des images en transformation constante s’enchaînant sur un rythme frénétique…
Si l’on revient sur le cartel général on peut en approcher la complexité :
« Reconstruction de réseaux de neurones profonds, reconstructions d’image profonde matérialisée (verre, résine synthétique, silicone, alliage de cuivre, colophane, minéraux, os, calcium, protéines, sodium, sucre, agar agar, bactéries), réseau contradictoire génératif, reconnaissance faciale, écrans, son, capteurs, cellules cancéreuses humaines (HeLa), incubateur, odeurs, abeilles, fourmis, mycelium, terre, pigment. »
L’évolution permanente des images de Mind’s Eyes se trouve ainsi totalement influencée par le milieu (« Umwelt » en allemand) : la lumière, la température ,l’atmosphère, l’humidité et par la co-présence et l’action des agents biologiques : visiteurs, abeilles, fourmis et bactéries.
Au plan technologique, le dispositif ordinateur, câbles qui permet la transmission des data de l’intelligence artificielle est visible. Pour le vivant deux essaims d’abeilles sont accrochés au plafond et des fourmilières font saillie sur le sol en terre. Le contrepoint essentiel est dévolu aux formes organiques en résines qui semblent contenir des bactéries apparaissent comme des résidus biologiques éjectés des écrans.
La symbiose écologique hybride que construit l’artiste au croisement de mondes possibles installe sans hiérarchie une coopération inter-espèces qui génère de nouvelles formes hors de son contrôle, elle nous immerge dans un environnement sensible et spectral qui nous laisse imaginer un univers sans l’être humain, ou du moins sans sa domination. Une expérience inoubliable.