Dans sa galerie XXI, boulevard Raspail, Paris, Michel-Antoine Blachère expose jusqu’au 17 janvier diverses pièces de céramique réalisées à 4 mains par Christiane Ainsley et Michel Muraour. Ce dernier est connu à la fois pour son œuvre personnelle (poterie et sculpture) mais aussi pour son travail en collaboration avec différents artistes suivant ainsi l’exemple d’Artigas qui fut son maître. Il a travaillé avec entre autres : François Fiedler, Hans Hartung, Jean Paul Riopelle, Angelica Julner, Henrik Have, Paul Rebeyrolle, Lennart Aschenbrenner. Christiane Ainsley est une plasticienne d’origine québécoise. Depuis 2001, elle s’est installée dans le Var à Barjols non loin de Fox-Amphoux où est situé l’atelier de Muraour. Ses créations picturales très colorées sont également riches de matières qui viennent en avant du plan du tableau. De la collaboration de ces deux artistes sont nées tout une série de pièces étonnantes. Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas de céramique utilitaire. Ces plats, ces coupes, ces vases ne sont pas destinés à recueillir les fruits ou des fleurs. Ce sont des objets-sculpture à découvrir, à contempler, à admirer. On en fait le tour pour le plaisir non seulement des yeux mais aussi de tous les sens.
Le jeu de la terre
Ce qui se voit, ce qui se sent dans ses créations c’est leur origine : une boule de terre qui a été travaillée de la main. Les pressions et les mouvements de celles-ci font naître des formes qui se déploient dans l’espace. Dans toutes ces créations céramiques on voit toute la jouissance il y a eu à modeler une matière – l’argile – avec les mains afin de générer un volume singulier fait de pleins et de vides. Très vite, sous des mains expertes, l’objet devient une pseudo personne sur laquelle on fonde beaucoup d’espoir. Ici ce sont deux parents qui ont accompagné, caressé et aussi parfois traité durement chacune de ces créatures afin de lui donner une personnalité singulière, afin qu’elle soit le complet opposé de ces choses (ou ces êtres) voulu sur le même moule. Dès lors les géniteurs ne vont pas refuser de laisser leurs empreintes sur chacune des pièces de l’exposition, sans que le visiteur parvienne à deviner qui a produit cette marque, qui a généré cette protubérance ou qui l’a délicatement corrigée. Dans tout les cas cette phase de la création sculpturale des pièces fut l’occasion de laisser des empreintes personnelles dans la terre encore fraîche comme pour ce plat Sans titre où sur la forme circulaire parfaite sont installés à demeure neuf boules avec sur chacune d’elles la marque des doigts enfoncés. Aucune de ces concrétions n’est semblable. Toutes ont une vie, une histoire, un passé marqué qui nous restera toujours inconnu. Ici, comme sur d’autres créations, l’empreinte vaut comme reste de présences que le feu a fixées.
Chaque pièce est un enjeu risqué, à la fois célébration du matériau fondateur avec des gestes qui restent traditionnels et invention de nouveaux équilibres. Cela produit des présences inattendues résultants de la tension de la terre qui a offert sa résistance aux gestes qui l’ont malaxée, façonnée, vivifiée. Le résultat est un mélange d’inventions formelles, conséquences des traces du travail (empreintes, concrétions, sillons, boursouflures, …) et de lointains rappels des formes archétypales de la poterie artistiquement revisitées (plat, coupe, vase, ou bol…). Pour la plupart des pièces, il y a usage d’un moule qui constitue la contre-forme sur laquelle sont pressés les rondins argileux. Comme pour les poteries japonaises, ce qui compte ici, c’est la trace d’une improvisation. La particularité de cette jam-session plastique est de s’être jouée, redisons le, à quatre mains sans que l’on sache à qui appartenait les doigts qui ont façonné les gonflements de la mer ou la rondeur de la terre sur la pièce sculptée nommée Terre et mer.
Les enjeux de l’émail
Après la découverte de transformations, prévues ou inattendues, d’un premier passage au four vient le second temps de la création de l’œuvre céramique : la mise en couleur par les émaux. Ces deux artistes d’expérience ont l’habitude de faire confiance au hasard dans leurs mises en couleurs. Michel Muraour a une grande expérience des cuissons au bois, des aléas du feu, des fumées et des cendres qui révèlent toute la richesse des minéraux contenus dans les argiles. Mais dans le cas particulier de ce travail avec Christiane Ainsley, à ce mode de cuisson, le céramiste a préféré l’usage du four électrique à 1000° et 1120°, qui permet un résultat plus rapide et la possibilité de plusieurs cuissons pour une même pièce. Christiane Ainsley, plus novice dans la céramique, n’est pas déroutée par la phase de mise en couleurs avec des teintes d’émaux avant cuisson ne correspondant pas aux résultats attendus après cuisson, car elle travaille le plus souvent ses peintures en aveugle. L’emploi abondant de gels médium demande d’attendre la polymérisation pour découvrir la vraie pigmentation des surfaces et surtout des reliefs. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient eu plaisir à travailler ensemble aussi pour les enjeux de l’émaillage.
Les résultats sont étonnants et propres à réjouir les yeux tactiles des amateurs. Les effets picturaux des superposition de coulées noires et de tacheté blanc sur les rotondités sensuelles et dans fentes interstitielles de la pièce nommée : Le vrai faux du vrai jaspé. L’improvisation sur le thème des grands vases pour La solide fragilité a conduit à un émaillage contrasté : les noirs et rouges de la face interne pleine d’aspérités attentatoires s’opposent aux pourpres lisses et brillants de l’extérieur. Les titres donnés ne sont pas tous techniques ou descriptifs ; certains objets crées renvoient à autre chose que leur matérialité. La terre colorée évoque des paysages, ceux de AinsleyMuraour sont plutôt tourmentés. Une petite terre craquelée blanche semble emportée par une mer déchainée où des nuances de rouge ressortent des bleus sur Terre et mer déjà évoquée. Un paysage terrestre est encore suggéré dans la pièce plate Le Lac. Une digue noire et mate partage inégalement un océan de tavelures bleues se détachant sur un fond blanc. En bons artisans, ces artistes ont bien présagé du rôle feu dans cette heureuse distribution des étendues colorées entre gouttes et foulées. Le visiteur ne peut que les suivre dans cet imaginaire.
Comme on le voit ces objets-sculptures-céramiques sont des signes qui renvoient à plein d’autres choses. Ces créateurs se servent des éléments de la nature la terre, l’eau, l’air (pour le séchage) et le feu pour inventer des pièces qui lui rendent hommage. Ils ne l’imitent pas mais en flattant nos sens, autant le visuel que le tactile, ils nous font rentrer dans un monde d’images oniriques. Les marques de façonnage, les coulées d’émail, les traces du feu nous montrent un subtil dialogue avec la nature conduisant à l’expression de la sensualité d’un poème abstrait.