Si la France est si en retard sur les études post-coloniales c’est qu’elle n’aime pas remettre en questionnement son passé et que pour nos dirigeants l’histoire et la géographie doivent rester dans leurs limites apolitiques. Ce n’est pas un hasard si la Cité Nationale de l’Immigration a été ouverte mais jamais officiellement inaugurée. Ce n’est pas un hasard si les seules manifestations qui ont compté en ce domaine ont été le fait d’initiatives singulières. Nous apprécions ainsi à leur juste valeur et depuis quelques années les expositions du couple franco-chinois, Evelyne Jouanno et Hou Hanru. Ce n’est pas un hasard si le commissaire de la manifestation « Histoires parallèles : pays mêlés », est le chorégraphe homosexuel Alain Buffard, qui s’est fait connaître par des pièces comme Mauvais Genre.
Formé aux arts plastiques il a longtemps travaillé comme assistant de la galeriste Anne de Villepoix avant de se lancer dans la chorégraphie. Dans la décennie précédente il a été le commissaire de deux expositions Wall Dancin -Wall Fuckin, et en collaboration avec Larys Frogier, Campy, Vampy, Tacky. Si cette nouvelle manifestation explore avec des artistes de différentes origines le post-colonialisme c’est un champ d’expérimentation qu’il a abordé avec sa dernière pièce dansée Baron samedi. Comme il le déclarait récemment à Rosita Boisseau il a fait danser « des interprètes issus de cultures différentes et minoritaires au sein de leurs propres minorités. L’une des danseuses, ivoirienne, élevée dans la religion musulmane puis convertie au bouddhisme, a été joueuse de foot avant de se « convertir » à la danse contemporaine ».
Parmi les œuvres existantes qu’Alain Buffard a rassemblé pour la chapelle des Jésuites le coréen Chan Hyo Bae fait le lien entre l’interrogation sexuelle et les troubles dans le genre avec sa série Existing in costumes, fairy tales& Punishments. L’artiste se travestit en lien à l’iconographie de la royauté britannique et des contes de fées occidentaux manifestant ainsi son ressenti d’aliénation culturelle. Ces portraits en pieds dialoguent avec un triptyque de l’indienne Pushpamala N où elle se montrer en femme chrétienne, hindoue et musulmane. Ce protocole constitue en soi un acte politique fort et risqué pour une indienne. A côté de cette dénonciation des rôles imposés à la femme le tanzanien Mwanzo Millinga produit une série de portraits documentaires de jeunes albinos qui dans son pays sont enlevés et tués du fait des pouvoirs surnaturels qui leur sont attribués. La présence dans chaque image d’un cadre de guingois rend la série plus prégnante sur cette fragile beauté qui devient menace de mort.
Le reste de l’exposition est installé dans le cadre du Museum d’Histoire Naturelle qui est resté sans changement depuis sa création dans les années 1930, c’est un monument du kitsch et tout y respire les satisfecit colonialistes, les attendus les plus racistes, en introduisant dans la galerie d’ethnographie vidéo et photographies d’artistes contemporains le chorégraphe donne à voir ce hiatus idéologique. Il a passé commande à la photographe Anna Katharina Scheidegger, diplômée du Studio National des Arts du Fresnoy pour faire le portrait d’anciens travailleurs indochinois embarqués de force au moment du second conflit mondial pour venir travailler dans le sud est de la France. C’est ainsi qu’ils ont contribué à l’amélioration des techniques de culture du riz en Camargue. Leurs portraits sont installés au milieu des galeries d’animaux empaillés.
Dans le même environnement la vidéo du turc Ferhat Özgur Metamorphis chat filme la rencontre tournée selon l’esthétique des feuilletons télévisés
entre sa mère, qui a toujours porté le voile, et sa voisine professeur, qui porte des vêtements plus occidentaux. La décision d’échanger leurs vêtements, est l’occasion de crises de rire et leur complicité joyeuse leur permet d’évoquer la condition de la femme confrontée à ses obligations vestimentaires.
La vidéaste franco-marocaine Bouchra Khalili interroge la géographie de l’immigration dans ses courtes bandes The mapping journey project. Interrogés en voix off des personnes contraintes à l’exil retracent sur des cartes de la zone méditerranéenne les aléas et contingences de leurs parcours ballotés par les conditions politiques et économiques.
Cet ensemble d’œuvres s’accompagne d’une programmation danse avec des performances chorégraphiques de la franco-ivoirienne Nadia Beugré, et de la franco-marocaine Latifa Laâbissi, complétées d’une série de conférences dont celle de Françoise Vergès , présidente du comité pour la Mémoire et l’Histoire de l’esclavage.
L’ensemble constitue une approche composite de la géographie humaine et de l’histoire non européocentrée qui permet à Alain Buffard de produire avec une grande intelligence des œuvres une pensée et une mémoire de la diversité culturelle.