De retour de résidence à la Casa de Velazquez à Madrid Anaïs Boudot inaugure avec « La noche oscura » sa première exposition monographique à la galerie Binôme. Trois ensembles emprunts de la même préciosité constituent cet accrochage d’une grande exigence. De denses tirages noir et blanc traquent de nuit lieux de passages et architectures. Des tirages sur verre avec une dominante dorée donnent une image exaltée de la nature. Des pierres recueillies sur le chemin ayant subi un traitement photographique de type primitif arborent un bleu intense.
Dans tout son travail depuis sa série Exuvies les images d’Anaïs Boudot illustrent un rapport au monde visible lié à la fragilité de nos perceptions. Elle a ainsi toujours testé la résistance des images pour explorer espaces naturels et frontières intimes. Dans les villes espagnoles qu’elle a parcouru elle est partie sur les traces de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix. L’errance sur ces chemins d’une quête spirituelle lui permet de suspendre des visions nouvelles sur des éléments architecturaux que l’ambiance nocturne fragmente.
La prise de vue s’appuie sur le façonnage des formes qu’opère la lumière naturelle, accentuant l’ambiguïté entre positif et négatif. Un second temps de travail s’effectue dans l’atelier , un retour s’y mène du numérique vers l’argentique, et pour contrecarrer les effets de surface trop peu signifiants l’artiste recourt à des procédés anciens. Un dernier temps de mise à vue exploite les formes d’exposition (ou de publication) qui restituent une expérience visuelle en 3D.
Les passages d’un genre à l’autre, d’une espèce à l’autre déclinent un jeu
où feuille, caillou et pierre participent d’un même destin celui de construire pour célébrer une spiritualité dont la quête reste permanente. Les volumes bleus de l’Empyrée deviennent de virtuelles photos 3D de la lumière crue d’Espagne. Anaïs aime se rappeler que le cyanotype dont elle imprègne ses pierres glanées sur les chemins a d’abord été une technique utilisée pour les relevés d’architecte. Elle ressoude la destination de cette technique avec le devenir de ces pierres, si ce n’est qu’il n’est plus aujourd’hui de temple à bâtir.
Son usage de différentes techniques autant que l’utilisation de divers supports ne se situent pas dans une visée nostalgique. Contrairement à ses prédécesseurs des générations précédentes elle ne se veut pas préoccupée d’histoire du médium, on pourrait qualifier son action de post-pictorialiste. Elle appartient de fait à ces chercheurs de la photographie expérimentale que Marc Lenot nous décrit « en lutte contre les appareils ».
Elle s’en donne toutes les libertés : ainsi à la suavité des papiers jet d’encre Hahnemühle elle appose la couche protectrice d’un verre anti-reflet. Aux images argentiques réhaussées d’or elle donne la transparence d’un cliché verre. Dans la logique de construction de son œuvre, elle n’oublie pas avoir titré son exposition à la galerie des Bains Révélateurs Les fêlures. Pour en continuer de célébrer l’aventure elle réadapte à ces supports fragiles la technique japonaise de la jointure en or qui soulignait d’un trait
la réparation des porcelaines et céramiques brisées.
L’ensemble de ces œuvres denses travaillent à ciel ouvert au cheminement nocturne qui tente de dresser les murs virtuels d’un temple d’aujourd’hui aux variations noir, or et bleu. Dans ce temple éclairé par « les éclats de la lune morte » nous interrogeons autant la nature que les constructions humaines et leur devenir.