Anatomiquement vôtre, le body art le plus radical

Raphael Cuir avait produit un premier essai théorique sur le rôle de l’anatomie dans l’histoire de l’art aux éditions Hermann, en introduction de ce nouvel essai plus critique il rappelle que depuis la Renaissance l’ouverture physique du corps a bouleversé nos connaissances sur cette intimité corporelle. Ce geste initiatique est repris au XX° siècle et radicalisé encore de nos jours par des artistes d’un nouveau body art extrême que l’auteur voit comme l’outil d’une connaissance de soi.

Le livre se structure en cinq chapitres qui déclinent l’approche générale de l’identité, sa définition via le genre et en lien à l’érotisme. La chair de l’artiste cerne une matérialité sensuelle remise en cause par la mort et son apprivoisement par des protocoles artistiques tandis que la conclusion fait le point sur l’actualisation de la connaissance de soi dans ses versions les plus actuelles.

Parmi les créateurs historiques de ce champ expérimental on s’attend à trouver Gina Pane, Ana Mendieta ou Marina Abramovic pour les pionnières du féminisme et Michel Journiac ou Chris Burden pour la performance radicale au masculin. Beaucoup d’artistes ici étudiés sont moins connus et constituent l’apport critique de Raphael Cuir. On découvre ainsi le travail pseudo médical de la tchèque Veronika Bromovà, les actions médiatisées de l’américaine Chrissy Conant et encore les simulations très trash menées par Daniel joseph Martinez ou l’américain Mike Parr.

Tous les artistes ici approchés appartiennent de fait aux nouveaux champs du body art, les performers y sont nombreux, mais on trouve aussi à part égale des adeptes des nouvelles technologies. La mise en action ou en danger directe du corps se voit donc contrebalancée par les modes scientifiques de son étude médiatisée.

En lien à la grande tradition des vanités aux statues de Ligier Richier l’identité biologique se réfère à une œuvre en 3d de Marc Quinn, les sculptures macabres en cire de John Isaacs ou les morts simulées de Franko B et Jan Fabre les mettent en perspective. L’artiste belge aux imites des arts vivants et plastiques a l’honneur de la couverture avec une petite sculpture peu connue ou l’artiste se trouve essayer de guider son propre cerveau aux dimensions outrées. Le dialogue de la chair et de l’esprit y est habilement mis en scène.

La chair de l’artiste a longtemps fait l’objet de représentations picturales, l’œuvre de Lucian Freud est ainsi justement analysée, mais on peut regretter que l’étude fasse l’économie de nombreuses recherches photographiques pourtant significatives en ce domaine. On retrouve les cependant les photos dessins d’Annette Messager ou les mixtes de Pilar Albarracin. En revanche cette étude est actualisée à travers les autres moyens technologiques qui permettent à des artistes comme Mona Hatoum, Bernar Venet ou Stellarc une représentation interne de leur nature charnelle. L’australien Guy Ben-Ary, une autre découverte, constitue même son autoportrait cyberbiologique.

Les artistes des gender studies sont très présentes telle la trop peu connue Catherine Opie. Plusieurs chapitres sont bien entendu consacrés à ORLAN à travers ses diverses recherches, les autoportraits contre la nature ainsi que toutes ses interrogations en œuvres sur la quête du post humain. On est heureux dans les mêmes préoccupations de retrouver France Cadet dans son devenir cyborg et pour la part masculine les explorations sculpturales de Gilles Barbier.