André Scherb expose à la Galerie Pierre Tal Coat, à Hennebont jusqu’au 28 mai 2022 une série d’œuvres récentes qui articulent dessin et peinture mais aussi des évocations du vivant végétal au moyen de multiples gestes créatifs.
En 2009, dans un travail de recherche, cet artiste plasticien, qui fut également enseignant universitaire, étudiait le processus de création picturale. Il montrait comment dans son travail, mais aussi dans celui d’autres artistes contemporains, existait une dialectique fondatrice entre la fable et le protocole.
Dans cette dernière série d’œuvres, ce que l’on peut appeler un protocole — les règles et procédures délibérément choisies par le créateur pour présider à la genèse de celles–ci — existe toujours mais elles se sont diversifiées. Elles concernent présentement surtout certaines productions plastiques comme les Torses ou les Matrices dans lesquels les gestes scripteurs sont distribués de chaque côté d’un axe central de manière faussement symétrique. Notre regard apprécie, que les marques plastiques soient produites par une succession d’opérations définies. Le choix des gestes scripteurs est lié à des expérimentations antérieures dont ils continuent l’exploration, jusqu’à ce que se manifeste dans un au delà de la forme visuelle l’indicible d’une pensée plastique.
Les créations picturales d’André Scherb ne sont jamais éloignées des forces d’une nature vivante où l’arbre serait une force et le paysage le lieu d’une expansion des forces. Même si la couleur verte n’est pas absente comme dans les deux Geste d’air, c’est souvent du dialogue entre le jaune et le bleu que jaillit la lumière, une lumière de peinture qui n’imite pas celle du soleil mais qui, par des échanges subtils, en produit un équivalent dans l’espace pictural ; cette série d’œuvres dont quatre sont dans cette exposition a pour titre Dialogue.
La gamme colorée utilisée par cet artiste est étendue ; il manipule très bien les variations de rouges un peu brique notamment dans cette réalisation vigoureusement gestuelle intitulée Trois torses rouges. Le plus étonnant est sans doute cette capacité à faire du noir une couleur. C’est qui se passe dans les trois créations réunies sous le terme de Matrice. Les gestes de lavis acrylique noir s’accordent avec le blanc du support. Un très juste dessin interne-externe de chaque côté d’un axe très habillement malmené produit une lumière vivante, le blanc de l’intervalle devient plus lumineux que celui du papier support. C’est ainsi que la création plastique dépasse la simple production artisanale pour approcher l’artistique.
À coté d’une approche de la nature environnante, l’autre origine de la peinture d’André Scherb se situe dans l’expression du corps actif avec, comme nous venons de le souligner, la présence d’un axe central et une double latéralité. Sont aussi importants les mouvements cré-actifs en corps à corps avec le subjectile choisi, que ce soit la toile ou le papier. Le geste peut être celui du poignet, du bras ou même de tout le corps. Il peut être franc et appuyé comme déjà signalé dans Trois torses rouges où d’une grande légèreté comme dans le Dessin végétal. Sur deux feuilles de papier associées sans être jointes le dessin est constitué d’une multitude de petits traits à la pierre noire qui précédent, uniquement dans le support supérieur, une intervention au lavis plus gestuelle. L‘unité dans la différence fait sens et installe la fable comme le souhaitait l’artiste.
Au centre de l’exposition a été installée une suspension de quatre créations sur papier de riz. Cette Traversée bleue s’appréhende des deux côtés. Elle est de grandes dimensions (200 x 285 cm). Chaque panneau est constitué par l’assemblage de deux feuilles jointes sans être collées. Toutes les deux sont peintes avec des pigments et des acryliques de couleurs bleues. Les tracés aux pinceaux sont variés parfois vigoureux dans la gestuelle ou la teinte, parfois fins et délicats. Comme le papier de riz est partiellement transparent le regardeur ne sait plus très bien situer spatialement le geste-signe qu’il perçoit. Cette incertitude de perception spatiale est loin d’être gênante : elle questionne le visiteur et le rend actif. Il ne fait plus juste un passage distrait le long de l’œuvre, il doit s’arrêter pour interroger son regard et ensuite, si il souhaite assurer sa perception, il est enclin à faire le tour pour comprendre la réalité spatiale de l’installation. Le fait que ces tracés bleus évoquent des ramures d’arbres confirme que Le chemin se fait (c’est le titre de l’exposition) encore mieux devant la peinture d’André Scherb que dans la nature.
L’exposition d’Hennebont est-elle plutôt dessin ou plutôt peinture ? L’interrogation semble un peu vaine mais, à mon sens, la réponse l’est moins. Le mérite de la réunion d’œuvres de cet artiste est de donner à voir à la fois des peintures qui reposent sur des traces à la gestuelle colorée brillamment dessinante comme Dialogue 3 et des créations graphiques, telles Torses 1 et Torses 2, dans lesquelles les tracés ont été réalisés avec de l’acrylique mélangé à de la cendre à qui il ne manque même pas la couleur.
Oui, pour notre plus grand plaisir, André Scherb est un artiste qui peint en dessinant et dessine en peignant. Ce n’est pas si fréquent dans le monde artistique contemporain.