Comment l’idéologie se nourrit de mots, comment l’art contemporain ouvre des brèches et renvoie une société à ces contradictions et à sa part d’ombre, telles sont les leçons de l’affaire de la destruction du « Piss Christ » et d’une des œuvres les plus sublimes de la série Churches d’Andres Serrano à la fondation Lambert d’Avignon par des néo-fascistes.
Rappelons comment notre Hyperprésident début mars à Vezelay appelle à « la croisade »pour séduire la frange la plus droitière des catholiques susceptibles de confondre dans leurs votes Mme LP. et la petite Jeanne que le parti FN s’est scandaleusement annexée. Rappelons la campagne médiatique gouvernementale pour ce débat pipé sur la laïcité. Ecoutons de nouveau l’écho étrange de ce mot « croisade » fin mars martelé dans la bouche de l’Hyperministre de l’intérieur, qui n’en est pas à un dérapage (contrôlé !) près. Entendons un archevêque de la région d’Avignon , contesté par sa base, parce que trop proche des dérives intégristes hurler aux loups face à la présence de l’œuvre « Piss Christ » » de la série des « Immersions ». A force de dérives politico-idéologiques ce prélat a-t-il oublié la double nature humaine et divine du Christ, et en tant qu’homme soumis comme les autres à la contrainte des liquides corporels dont la sueur , le sang et aussi l’urine. Les deux premiers au moins sont présents sur de nombreuses représentations peintes de la crucifixion. Ont ils encore des yeux pour voir ces pseudo-catho combien cette image malgré son titre et la manière dont elle a été produite oppose dialectiquement les deux natures, et si la pisse apporte un voile trouble , plutôt esthétique, à la surface de l’image, la lumière et les couleurs de cette photographie rendent hommage au Christ.
L’artiste ulcéré de cette destruction rappelait à Libération : « Si en faisant appel au sang, à l’urine, aux larmes, ma représentation déclenche des réactions, c’est aussi le moyen de rappeler à tout le monde par quelle horreur le Christ est passé. »
Dans leur hargne contre toute création ces vandales ont aussi attaqué une autre œuvre d’Andrès Serrano qui se trouvait à proximité. Représentant en plan serré une religieuse méditant dans l’église Sainte-Clotilde à Paris, Sœur Jeanne-Myriam elle a la force d’une icône qui justifie l’affirmation de foi chrétienne de l’artiste né d’une famille originaire du Honduras et élevé dans cette religion. Les plis de la tunique laissent imaginer les lignes d’un visage, dans un cadrage plus serré on peut y apporter une lecture pas si lointaine du suaire de Turin , suaire de la famille du mot sueur. Argument insensible à ces barbares.Le lendemain de leur destruction des œuvres les nouvelles nous apprenaient qu’une mère infanticide de son enfant de trois ans avait obéi à une « injonction divine »…
Tout cette agitation fascisante et ces intégrismes se situent dans la course à la déculturation qui sévit depuis quelques années entre la France et l’Italie, notre pays vient de perdre un point devant le positionnement radical d’Eric Mezil qui a tenu bon face aux menaces de mort et aux agressions physiques contre son personnel et les œuvres de la collection d’Yvon Lambert. Notre confrère Beaux Arts nous apprend que dans le sud de l’Italie certains responsables n’ont pas eu ce courage. « Face au désintérêt gouvernemental et aux menaces de la mafia Antonio Manfredi, directeur du Casoria Contemporary Art Museum a demandé l’asile politique et culturel pour lui et 1000 œuvres de son musée. »
Il faut préciser que le directeur de la Fondation a été soutenu par nos juges qui eux aussi résistent sur le terrain à l’action de déstabilisation gouvernementale contre les représentants de la Justice. En déboutant les associations intégristes et en les condamnant financièrement pour une action injustifiée ils ont laissé le dernier mot à la création. Andres Serrano apparaît ici vraiment comme notre contemporain au sens où Giorgio Agamben l’a défini :
« Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps »