ANIMAL, MYCETES, BACTERIES, PROTISTES ET VEGETAL

A la récurrence thématique des œuvres de 2003, celle de la chair, Jacques ROBERT juxtapose, dans ses livraisons actuelles, une nouvelle récurrence thématique, celle des zones humides.
Ces zones humides sont des zones de transition écologique entre deux écosystèmes, elles sont des zones mouvantes entre terre et eau, des interfaces complexes entre l’eau, l’air et le sol. Si la végétation qui pousse dans les zones humides d’eau douce, celles auxquelles Jacques ROBERT porte attention, est majoritairement enracinée sous l’eau, ses tiges, ses fleurs et ses feuilles sont par contre aériennes. Cette végétation est donc hélophyte.

Ces images composites puisent ainsi leurs sources dans le règne animal et dans le règne végétal, nous donnant à voir divers niveaux d’organisation de la matière vivante. Ces sources sont aussi celles de la « chimie organique ».

Chaque photographie est, par conséquent, le produit d’une juxtaposition, juxtaposition de cette chair qui fut le sujet des œuvres de 2003 et de ces zones humides qui émergent actuellement dans le travail de Jacques ROBERT. Peut-on émettre l’hypothèse que, malgré la fine ligne de démarcation, inframince, la séparation qu’est cette charnière, pour reprendre la notion explicitée par Daphné LE SERGENT, un élément commun relie ces images qui font la photographie actuelle de Jacques ROBERT. L’eau est en effet l’élément vital commun aux deux milieux que montre chacune des photographies.

L’eau a par ailleurs toujours hanté l’esprit des hommes. La plus perceptible des analogies qu’elle suggère est celle du mouvement et de la vie ou s’offrent à une vision animiste du monde les sources, les eaux courantes, les vagues. Mais ce qui est en jeu dans la circulation du regard qu’appellent les photographies de Jacques ROBERT puise dans une réalité qui dépasse de beaucoup cette évocation. L’eau conditionne en effet depuis la nuit des temps l’existence des êtres vivants car elle est le constituant principal de leur organisme et de leur nourriture. Les êtres vivants participent ainsi plus ou moins au « cycle de l’eau ».

Ainsi, cette démarcation dans les photographies de Jacques ROBERT fonctionne comme une dissection géométrique, à savoir qu’elle est effectivement une charnière, un pivot, un découpage avec charnières, où les deux images qui composent chaque photographie restent liées l’une à l’autre lors de la transformation de la première figure, celle de la chair, en une seconde, celle de la zone humide, et inversement.

Si cette charnière n’est pas, comme en fauconnerie, la place du leurre, est-elle pour autant aussi radicalement le chiasme que suppose Marie-José MONDZAIN lorsqu’elle évoque le rapport de l’image et de la parole, puis le montage cinématographique dans un récent entretien : « Toute image est un opérateur de séparation. Non seulement l’image est séparée, mais il n’y a de séparation que grâce à l’image. L’expérience de l’image n’est autre que celle de la séparation… Le montage travaille sur la discontinuité et la mise en contact de l’hétérogène, du distinct, du désajusté dans le temps ou dans l’espace. Le site du contact est-il une zone et de quelle nature pourrait être cette zone ? De quelle nature est l’écart ? Comment qualifier ce qui sépare ? Est-ce forcément quelque chose de même nature que le séparé ? Nécessairement non, ce qui sépare ne peut appartenir au séparé. Ce qui met les espaces en écart n’est pas de même nature que l’espace. C’est du temps. Et ce qui met les temporalités en écart, n’est pas de l’ordre du temps, c’est de l’espace. »

Philosophe de l’image, Marie-José MONDZAIN a subtilement pensé ce qui sépare dans l’image et elle réfléchit à la question du montage de photogrammes, de plan et de séquences, montage infiniment plus complexe, semble-t-il, que celui auquel se livre Jacques ROBERT où cependant la fine césure est un point de jonction et, peut-être, un moment de transition entre deux choses ou le second thème est relié au premier comme le premier l’est au second.

13 septembre 2008