Anxiété écologique chez les artistes contemporains

Mise en scène dans l’espace monumental de l’ancienne Bourse de Commerce, où la collection Pinault est déployée, cette exposition ambitieuse remanie un thème permanent, celui de la relation art/nature, à l’aune de l’anxiété écologiques des artistes contemporains. Leur échappée hors de la clôture du monde de l’art au nom d’un engagement militant vise-t-elle à nous faire prendre conscience d’une catastrophe en cours plus encore qu’à venir ? Un tel questionnement de la part des artistes pose problème : doit-on juger leurs œuvres en fonction de leur (bonnes) intentions ? Sommes-nous vraiment venus là pour apprendre quelque chose ? Quel est le rôle de l’art dans une affaire qui nous concerne tous au plus haut point ?

La première impression devant ce qui se déploie sous la coupole est que l’on se trouve plutôt Après un orage que « avant l’orage » : de longues branches tordues, massives, sont disséminées un peu partout sur des supports qui les maintiennent, on l’espère, avec efficacité. Ce grand chambardement n’est pas vraiment original : Giuseppe Penone utilise le matériau naturel bois pour le transplanter en majesté dans des musées. Danh Vo, un artiste danois d’origine vietnamienne vivant près de Berlin, exprime la mondialisation de l’art contemporain : ces branches et arbres déracinés lui correspondent. Il ajoute çà et là des œuvres votives, des objets glanés, des fleurs de capucine. Son installation imposante devrait déstabiliser, inquiéter, mais est-ce le cas ? NATURE, film récent d’Artavazd Pelechian, un montage de nombreuses catastrophes, était plus émouvant voire éprouvant. La compatriote de Danh Vo dans l’exil Thu Van Tran évoque, avec une grande fresque gris-vert kaki à taches orange, les dégâts de l’agent orange durant la guerre du Viêt Nam, mais d’innombrables dégâts écologiques se produisent aujourd’hui même en période de paix. On aimerait aussi voir des artistes vivant actuellement au Viêt Nam dont la situation est plus inconfortable que celle de ceux qui l’ont fui.

Du Monumental au discret

Autour de la coupole, Édith Dekyndt a installé dans des vitrines un cabinet de curiosités inventif qui nous plonge dans une réelle perplexité. Ses interventions discrètes sont malaisantes si l’on s’y attarde, ne serait-ce que parce qu’il est difficile d’identifier ce que nous voyons. Elle crée une ronde de créatures fictives à partir d’objets récupérés détournés de leur apparence initiale pour mimer de curieuses formes de vie. L’origine des choses, intitulé de la série, joue à la fois sur le De Natura Rerum de Lucrèce et les leçons de choses de l’école d’antan. Ces présentations discrètes intriguent plus que le dispositif monumental qui occupe le centre dont la volonté de signifier épuise une apparence sans charme. Cette dissociation centre/périphérie, spectaculaire/discret caractérise un art actuel qui finit par être prétentieux à force d’être ambitieux, mais réussit mieux quand il est plus minimal ou moins sérieux. L’art doit-il être en format XXXL pour être muséal ?

L’œuvre qui accueille en permanence le visiteur dans la collection Pinault est une miniature : la très petite souris grandeur nature qui essaie en vain de s’exprimer après avoir creusé un mur, œuvre de Ryan Gander, rappelle la mémoire du lieu, l’ancienne Halle aux grains. Cet animal nuisible et pourtant fort sympathique pose une vraie question : la sauvagerie de la nature reste toujours présente au cœur de nos villes. L’exposition recèle des pépites, comme le tableau noir que Tacita Dean a transformé en un ciel nuageux dessiné à la craie. Des apparitions fugaces de météores comme les nuages d’un orage sont conservées par un art qui les sublime.

Art, Science et Mythe

Comme Édith Dekyndt l’a montré en reprenant des bocaux, formes de présentation évocatrices des musées d’histoire naturelle, les artistes se confrontent, tant dans la forme que dans les concepts, à la science naturelle (biologie, étude des milieux, des écosystèmes, des éléments comme l’élément marin). Comme un immense diorama, une salle projette une immense vidéo de Hicham Berrada : on pense y voir des formes de vie corallienne, des agitations moléculaires ou que sais-je encore … c’est bien la preuve que la vision n’est pas un savoir car ce sont des processus chimiques destructeurs qui donnent cette impression. Comme si le monde d’après l’orage s’agitait, se séparait et s’agglutinait sans qu’aucune forme de vie ne puisse y subsister : l’œuvre se nomme « Présage ».

Une vidéo qui reprend les codes de l’enquête ethnographique nous met face à un rituel imaginé par Jonathas de Andrade : des pêcheurs qui ont la chance de vivre une nature très poissonneuse saisissent dans leurs bras les poissons qu’ils viennent d’attraper pour les caresser jusqu’à ce que leur mort s’en suive. Invoque-t-il une éthique du Care pour défendre la cause animale ? Difficile d’affirmer qu’aucun animal n’a été malmené durant le tournage ! L’ironie de ce rituel qui détonne dans le propos généralement anxiogène de l’exposition où l’humain et l’animal sont souvent confrontés nous détend.
Coronation of Sesostris, grand cycle de toiles dédiées au soleil par Cy Twombly, illumine une salle. Sa vision de la nature repose sur une mythologie empruntée à l’Égypte ancienne où le pharaon Soséstris déifia le soleil à Héliopolis. On peut se demander si, plutôt que d’entrecroiser l’art et la science, les artistes n’auraient pas la tâche poétique d’inventer des mythologies nouvelles, comme l’a fait Pierre Huyghe de manière ésotérique dans ses films – on y voit, par exemple, un curieux chien errant, un singe qui porte un masque d’homme déambuler anonymement.

Le pêle-mêle de l’exposition ouvre des questions dont la pertinence est discutable sans que le pouvoir d’énigme de l’art nous séduise, sauf exception. Si la relation des hommes à la nature est aujourd’hui plus que jamais préoccupante, elle a toujours été la fonction prédominante de l’art, avant même le développement de la science.