Arnaud Vasseux.Opérations ambigües

Rose de Burki et Camille de Bayser ont fondé la Galerie Sycomore art qu’elles dirigent avec chaleur et justesse. Leur programmation est basée pour une part sur les relations privilégiées qu’elles entretiennent avec le Brésil, et certains de ses artistes. Sycomore art est la seule galerie présente à la foire de Sao Paulo où elles présentent aussi de jeunes artistes français, au travail desquels elles sont très attentives.
D’octobre à Décembre 2009, elles ouvrent leur espace à Arnaud Vasseux.

Arnaud Vasseux intervient en général in situ, mais présente aussi des œuvres réalisées en atelier. Ici, il a repéré immédiatement une trappe ouvrant sur une salle en sous-sol recouverte habituellement par un plexi. Il a enlevé le plexi et « autour » du trou, il a construit un mur à trois côtés dans un matériau à la fois fragile et aérien qu’il affectionne, le plâtre.
Pour la construction de cette pièce « sans titre » il a utilisé des plaques en plastiques qu’il a scotchées une à une et après avoir fait coulé le plâtre, il les a retirées comme on le fait d’un coffrage.

À ce moment, tout peut s’écrouler. Sinon, se tient devant nous une élévation portée par ses propres forces, un mur de fragilité pure.
En laissant ouverte la trappe, il permet de voir que cette élévation commence en fait au sous-sol. Élevés sur trois côtés ces murs fin comme une feuille, fragile comme du verre et blanc comme un rêve en cours de construction remplissent une fonction singulière. Ils ne désignent rien d’autre qu’eux-mêmes, même si l’on peut dire que d’une certaine manière ils révèlent ce trou et ainsi le montrent. Ils ne font rien d’autre qu’affirmer leur présence, mais une présence qui en tant que telle ne signifie rien.

La singularité du travail d’Arnaud Vasseux tient tout entière dans cette ambiguïté. Elle se manifeste aussi bien dans les œuvres d’atelier que dans celles qui relèvent du travail in situ. Lorsqu’il agit sur l’espace, il le fait moins par des « gestes » exprimant une position subjective que par des opérations qui repoussent sur les bords et la subjectivité et la rationalité pure. Lorsqu’il construit une pièce, il met en scène un geste non subjectif en ce qu’il révèle la dimension plastique d’une forme construite par des recouvrements ou des déplacements légers de certains des éléments qui la composent.

C’est sans doute pourquoi le mot opération semble plus adapté pour rendre compte du travail d’Arnaud Vasseux que celui de geste. En effet, une opération est un ensemble de gestes saisi dans le moment de leur mise en œuvre et dont la finalité n’est donc pas tout entière contenue ni dans l’expression d’une subjectivité, ni dans la réalisation d’un « objet » utile. Suspendues entre ces deux pôles qui constituent généralement les armatures de l’œuvre d’art, les œuvres d’Arnaud Vasseux font donc de l’opération même le sujet de l’oeuvre.

Il s’empare donc moins d’une forme ou d’un espace qu’il ne met en scène une opération, celle de prendre de la peinture avec un rouleau par exemple, ou celle d’élever un mur à la limite de la rupture. Il en va de même pour ses dessins qui sont des mises en scène répétitives de gestes non subjectifs dans lesquels la forme qui s’exhibe est le résultat d’une opération de recouvrement et de cache.

Cette ambiguïté apparaît donc comme l’espace « abstrait » ou plus exactement « mental » dans lequel viennent se loger les opérations qui constituent les œuvres. Arnaud Vasseux ne travaille pas à mettre en scène une sorte de déploiement fantasmé de l’espace par lui-même, ni une sorte de jeu humoristique sur les significations possibles d’un objet. En révélant l’absence de signification d’une forme industrielle ou en exhibant les possibilités non exploitées d’un espace construit, il fait exister une sorte de dimension transversale, une sorte de plan de coupe mental. Ce plan est à la fois implicite et nié dans les gestes et les opérations de constructions. Il se trouve ici non pas révélé en tant que tel. Il ne consiste pas dans le résultat des opérations menées par Arnaud Vasseux que sont ses installations ou ses oeuvres. Son immatérialité même devient sensible et perceptible par le décalage qu’il instaure entre une forme et son déploiement à la fois « inutile » et asignifiant.

Il révèle ainsi un aspect souvent occulté de la grande fabrique du sens, à savoir que le sens loge dans les intentions mais qu’il s’évanouit lors de la réalisation. En partant du donné, du construit et en remontant vers la source des opérations qui l’on rendu possible, Arnaud Vasseux révèle que le « sens » est à peu de chose près aussi évident que ce mur qu’il élève pour rien, mais aussi fragile et aussi asignifiant que lui.
Si les œuvres d’Arnaud Vasseux nous touchent, c’est donc qu’elles pénètrent d’autres strates de notre psychisme. La présence d’un volume en plâtre à la fragilité évidente fait monter en nous crainte et tremblement. Le geste de déchirer un volume de plâtre en train de prendre s’il relève de l’opération en constitue la phase ultime. Il opère une sorte de révélation en ce qu’il met en évidence ce qui se passe, un phénomène qui n’est pas visible au coeur d’un matériau en mouvement, mais aussi en ce qu’il montre la forme au moment de son apparition. La forme n’est pourtant pas ce qui est visible mais plutôt dans le moment et le mouvement de révélation, la forme est le déchirement même.

Dans les œuvres où la surface peut être assimilée à une sorte de miroir improbable, c’est alors la remontée du fond à la fois recouvert et perceptible qui confère à la forme sa puissance d’évocation.
Alors, dans l’esprit du spectateur, l’image mentale qui se forme peut-elle accéder à une dimension triple, être image de ce qui est perçu, du mouvement qui a conduit à l’émergence de la forme et de l’idée « pure » qu’elle fait naître sur l’improbable et si réelle surface interne de notre esprit.