La réussite de cette année s’appuie sur une orientation thématique ambitieuse, celle du continent africain, défendue par une commissaire, Marie-Ann Yemsi, alliée à une ouverture de la sélection. Les 139 galeries d’art moderne et contemporain présentes au Grand Palais sont issues de 29 pays, 20 d’entre elles viennent d’Afrique, et aux galeries parisiennes répondent 14 galeries issues des régions françaises. Une programmation vidéo « Les territoires du corps » complète cette proposition.
Il y a déjà douze ans qu’ Africa Remix à Beaubourg nous révélait la diversité d’une scène que le marché avait trop tendance à ignorer. A travers sa partie Promesses comme dans la sélection principale d’autres découvertes sont favorisées. On peut noter aussi la présence d’une initiative singulière de l’organisation milanaise AtWork, un modèle formatif itinérant stimulant un débat et une pensée critique parmi les jeunes talents de ces pays novateurs.
Dans l’utilisation de techniques traditionnelles détournées au profit d’une affirmation identitaire ou culturelle on peut s’attacher aux tableaux brodés de la Sud-Africaine Billie Zangewa donnant une image actuelle de la femme africaine libérée , ou leur préférer les sculptures tissées à partir de déchets de Moffat Takadiwa, Smell Fighters, plus primitives.
La scène photographique est très bien représentée avec une prédominance du noir et blanc, on remarque Mario Macilau du Mozambique (Ed Cross Fine Art) pour ses Faith Series, très symboliques, ainsi que des travaux plus documentaires :Growing in Darkness où il met en valeur « les fantômes de la société » .Franck Abd Bakar-Fanny exploite un noir et blanc très surexposé pour montrer avec la galerie MAM de Douala des architectures impossibles.
Mohau Modisakeng, (Tyburn Gallery) utilise son propre corps et puise dans sa mémoire personnelle pour sonder les effets de la violence physique et symbolique sur le corps noir et « l’impact de l’histoire sur l’inconscient collectif, dans le contexte postcolonial et post-apartheid de l’Afrique du Sud ». En couleurs les portraits posés de Namsa Leuba, de la série Zulu Kids, sont visibles à Art Twenty One (Lagos).
De Casablanca la Loft ART Gallery consacre la majorité de son stand à Hicham Benhohoud ce qui permet de revoir ses pertinentes et drôlatiques mises en scènes de l’art à l’école, mais aussi ses autoportraits démultipliés jusqu’à la perte de soi et des photographies où la maison est mise à mal par les liens familiaux qui la traversent. Les dessins et interventions colorées sur cartes postales d’Amina Rezki prolongent cette réflexion plastique sur l’identité.
En dehors de cette thématique diverses galeries sont toujours actives. Pour l’édition d’art la galerie 8+4 de Suresne poursuit la défense d’artistes français aussi importants que Claire Trotignon ou Philippe Favier.
Pour la photographie en France Françoise Paviot reste un leader incontesté, un rapprochement de trois statues africaines reproduites par Walker Evans, Dieter Appelt et Man Ray dialogue avec des images matiéristes de Juliette Agnel et des tirages somptueux de la canadienne Barbara Steinman. La galerie Binôme poursuit sa défense d’une photographie contemporaine d’une très haute exigence, avec des vues sur verre d’Anaïs Boudot, les sculptures paysagères numériques de Thibault Brunet ou les expérimentations du support argentique de Laurent Lafolie.
Les efforts scénographiques sont toujours importants à signaler dans une foire où les nécessités de l’accrochage rentable priment souvent sur un véritable souci muséographique. La galerie ALB – Anouk Le Bourdiec, propose une très belle installation de sculptures hyperréalistes d’un artiste signant THE KID pour un ensemble titré Back to school . Dans une approche plus surréaliste Véronique Smulders reçoit Tinka Pittors, son ensemble In Dreams , fait d’époxy, pigments, polyester et métal voit l’animal et la nature tenter d’étranges connexions .Mais la plus grande réussite demeure incontestablement la réunion sur le stand de Pascal Van Hoecke de cinq designers et de trois peintres qui composent l’Appartement. On y apprécie de petits tondos de Tony Soulié dont on retrouve avec bonheur les mixtes photos peinture. La technique picturale de Michael Burges arrête l’action de pigments colorés par l’imposition d’une plaque transparente, la présence de la peinture en devient fantômatique.
Des coupures fondamentales qui concernent le corps biologique ou les rapports sociétaux animent certaines œuvres parmi lesquelles nous rapprocherons, malgré leur esthétique différente, les sculptures de Hervé Bohnert (Jean Pierre Ritsch Fisch) des demi-écorchés à partir de statues religieuses anciennes, et les peintures de Mohamed Lekliti. Réunies en solo show à la galerie Dupré&Dupré de Béziers elles sont aussi visibles chez DX de Bordeaux qui avait la première défendu cet artiste. Les corps y sont à la fois déchirés dans une même toile ou de chaque côté d’un diptyque et reliés à leurs contradicteurs ou isolés dans la solitude d’un mouvement ample comme la vie.