Si l’atelier s’est réduit aux dimensions locales de l’écran son espace imaginaire s’est ouvert au global des œuvres et expériences du monde. Le créateur en photographie ne peut aujourd’hui qu’en enregistrer les circulations, en affirmer les « Attractions ». C’est l’objet du dernier opus de Christian Milovanoff à la galerie Françoise Paviot après une création au Musée Réattu d’Arles l’an dernier.
Appréhender cet ensemble ne peut se faire sans revenir sur le parcours de l’auteur. Au centre de son œuvre, faisant office de noyau dur, une fiction littéraire, celle du catalogue publié par le Musée de Saint Etienne en 1994 intitulée Le Jardin (1948- 1968) inscrit la poursuite et le développement de blocs d’enfance qui ont fait souche. On peut y lire les visites estivales aux plus grands musées des Beaux Arts espagnols que ses parents lui ont imposé comme base du goût des espaces d’exposition qui l’ont conduit ensuite au Louvre pour la réalisation de deux grandes séries. Il reconnaît avoir apprécié, à l’époque, dans des lieux tels le Prado moins les œuvres que l’ordonnancement d’intervalles et de rythmes. Cette passion muséographique fut la source de la première série, celle du Louvre revisité, il y revendique une ethnologie des vides et des pleins.
Longtemps après une visite au British Museum lui fit découvrir une frise assyrienne de plus de 15 mètres de long, explorant La chasse au lion. Il en appréhenda la composition complexe comme une sorte de préfiguration chronophotographique fascinante. Quand peu de temps après, en 2007 Marie-Laure Bernadac l’invita à retravailler au Louvre le choix des bas reliefs assyriens qui s’y trouvaient s’imposa. Le temps avait rendu certains panneaux monochromes mais d’autres en briques vernissées avaient conservé leurs couleurs d’origine. Le double traitement photographique qu’il leur fit subir prise de vue frontale à la chambre puis tirage numérique à l’atelier Frank Bordas l’amenèrent à créer dans la salle des cartes attribuée à l’art contemporain, un ensemble de haute sensibilité.
S’il a intitulé cet ensemble Suite cela marquait son retour au Louvre 20 ans après mais c’est aussi qu’il a organisé ses grands tirages en une sorte de bas-relief constitué de vrais et faux raccords. On peut aussi y voir dans la diversité des mouvements une composition inspirée des suites musicales inaugurées par Bach, qui entre prélude et gigue développaient la variété d’anciennes danses de cour. Cette musicalité rythmique était rendue sensible par la sensualité des tirages réalisés grâce à la subtilité des couleurs faites d’encres à pigments sur papier traditionnel Hahnenmuele.
Si l’on devait classer l’ensemble des productions de Christian Milovanoff sous une catégorie ce serait moins dans les œuvres appropriationnistes qui manquent souvent de recul par rapport à leur origine que dans un art de fiction critique. Ainsi quand il est invité en 2002 au Musée de Pittsburgh, s’il travaille en couleurs c’est dans la descendance d’un Saul Leiter, quant aux scènes de rue qu’il saisit elles s’organisent dans son viseur à la fois comme héritées de Walker Evans mais aussi dans la réactivation de ces tableaux du XVIII° siècle que l’on qualifiait de « Conversation pieces », appellation qu’il assume dans son titre.
Ce positionnement critique il l’affirme dans ses écrits théoriques (dans la revue Inframince de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie notamment) comme dans ses choix d’enseignant dans ce même établissement, y défendant entre autres toutes sortes de pratiques documentaires. Sa production photographique découle de ses engagements contre-idéologiques, il refuse ainsi le confort de la notion d’auteur, qu’il aime rappeler issue du 18° siècle comme conséquence policière de la recherche et de la traque des rédacteurs de pamphlets. Dans la réception des réels il s’accepte en permanence traversé d’images, il les collectionne sur internet comme un trésor de guerre.
Attraction II exploite ce corpus où figurent aussi ses propres images, jouant des transparences et des complémentarités formelles, en autant de clash situationnels qui interrogent le pouvoir idéologique des images. Certains diptyques jouent de collapses temporels rapprochant des situations de tensions sociales qui balbutient d’époque en époque. Moyens de transport et outils au service des guerres se confondent. Quant aux images corporelles elles diffusent leur présence dans les arrière-fonds de commerce de la crise de civilisation. Ces mélanges iconiques se font dans les périphéries de la haute culture, dans la mixité des champs de connaissance. Si on ne peut qu’apprécier l’assertion de Jean-Claude Lemagny dans l’introduction à cette exposition quand il écrit « La juste forme rayonne d’un espace justement rêvé. » il faut accepter que la pratique de fiction critique mise en place ici avec tant de talent plastique ne soit qu’une exacerbation de la profonde impureté de l’image contemporaine.