Il y a le ciel et la terre, il y a cette ligne de démarcation entre les deux, née de leur rencontre. Le musée des Beaux-arts de Dole, le musée d’Art, hôtel Sarret de Grozon d’Arbois et le musée municipal de Pontarlier s’associent et consacrent une rétrospective ainsi qu’un riche catalogue à l’œuvre immense et pourtant méconnue d’Auguste Pointelin.
Souvent le ciel est blanc de mille nuances, la terre brune, presque noire. On pourrait bien sûr dire qu’il faut avoir vécu dans ces terres là pour avoir fait l’expérience de ces cieux bas et lourds et pourtant, le paysage de Pointelin n’est-il pas avant tout un paysage intérieur, un paysage romantique où c’est l’humeur qui préside à la représentation d’une nature, plus humaine encore que réelle ? Il n’y a, dans les paysages de Pointelin, aucun corps qui traverse les pigments étendus, aucune présence humaine qui ne viennent nous déranger dans cette solitude mélancolique du regard. La peinture de Pointelin est introspective, elle résulte de ce regard renversé, allant du monde vers soi, de l’horizon vers sa propre conscience.
Certes, le parcours de Pointelin est jalonné comme celui de tout artiste d’expériences, de variations, cependant, l’homme a toujours peint des paysages non pas similaires, mais semblables, toujours le ciel, la terre, parfois quelques arbres ou arbustes, toujours cette rigueur parfois aride, parfois plus romantique. Certes, Pointelin était attachée aux souvenirs de sa terre jurassienne, pourtant, les lieux peints ne s’attachent pas nécessairement à la représentation exacte d’un lieu donné, ou plutôt il ne s’évertue pas à peindre un paysage avec des caractéristiques si singulières qu’elles en deviennent l’écho d’un relief précis. On est là, on est ailleurs, on est nulle part. C’est davantage la peinture, le paysage en tant que notion picturale qui interpelle face à une œuvre de Pointelin. C’est le Jura et ce pourrait aussi être ailleurs. Pointelin n’est pas Courbet, pour chercher la comparaison avec un autre peintre étroitement lié la Franche-Comté.
L’œuvre d’Auguste Pointelin oscille entre romantisme et abstraction. Ce mouvement qui guide l’œuvre de Pointelin au cours du temps, venant réduire le nombre des couleurs comme la dimension narrative et figurative de son œuvre. Dans cet entre-deux réside peut-être également l’engagement mystique de l’œuvre et de l’homme puisque Pointelin a publié un Credo spiritualiste en 1912, reflétant ainsi les préoccupations et formulations philosophiques de son époque. Il n’y a pas le paysage pour sa géographie physique, il y a le geste de l’homme au monde peignant le seul fait de l’existence comme la sacralité de l’univers infini. Parfois la végétation est détaillée, ce sont les fusains obscurs aux arbres nus, les troncs torves comme abandonnés là. Ces dessins, comme certaines peintures dans la même veine, ont le charme des ruines, le regard ne tarde pas à s’identifier à la végétation, à y voir le reflet d’une intériorité douloureuse, à personnifier le règne végétal en allégorie de la mélancolie, mal existentiel et romantique. « Un paysage quelconque est un état d’âme », écrit Henri-Frédéric Amiel dans son Journal, le 10 février 1846. On pense alors au lien esthétique entre Corot et Pointelin, sans que les deux hommes n’aient été contemporains l’un de l’autre.
Il y a quand même une spécificité évidente à l’œuvre de Pointelin qui laisse songeur quant à sa trop discrète notoriété. Les paysages d’Auguste Pointelin frisent l’abstraction, ils sont résolument modernes, parce qu’ils nourrissent en leur sein la question qui parcourent la peinture depuis le début du XX° siècle. Soulignons d’ailleurs qu’un tableau d’Auguste Pointelin figurait en 2016, parmi l’exposition Almanach 16 proposée par une institution de l’art contemporain, le Consortium de Dijon. Cette tension du paysage avec l’abstraction est ce qui rend l’œuvre de Pointelin si intéressante pour l’œil contemporain et rappelle la sensibilité du mouvement américain des années 40 et 50, « Colourfield painting » et celle de Rothko plus spécifiquement, dans cette manière de laisser les couleurs se rencontrer et vibrer de concert.