La dimension critique du réseau

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Aurélie de Heinzelin EUX

Eux, ce sont les amis photographiés, servant de canevas à la toile où ils deviennent les personnages grotesques d’un petit théâtre de l’intime. Le couple est une pantomime avec ses costumes cramoisis, ses attitudes frelatées. Le couple est un carnaval, celui de Maëlle et Laurent, dont les rôles, en l’espace de deux toiles, s’inversent.

Toutes les possibilités sont envisagées, aussi le couple repose parfois sur un tiers animal devenu le prolongement de la verge masculine ou le réservoir de sa décharge. La cérémonie se joue sur le parquet familier de l’appartement. On décèle quelques fois l’avatar pictural d’Aurélie de Heinzelin, nue avec une tête de cerf ou crachant par le flanc quelque flamme rougeoyante. Parce que l’auteur engage sa propre image, comme celle de son entourage, la peinture apparaît comme le lieu d’un cheminement autobiographique, mêlant le réel au fantasmatique, ou plutôt sublimant son activité pulsionnelle la plus inconsciente.

Dans le catalogue intitulé L’Hiver Otto, ponctuant une période de résidence à l’Institut français de Stuttgart, des textes d’Aurélie de Heinzelin sont présentés comme des fragments de journal intime où sont consignés ses rêves. Il serait néanmoins trop simple de réduire ces peintures à un onirisme post-surréaliste. Le trait d’Aurélie de Heinzelin est féroce, il caricature les visages, ne garde que les structures anguleuses des corps. La face est un masque souriant, le corps un squelettes recouvert de viande. Julie Crenn, dans le catalogue accompagnant cette nouvelle exposition souligne la relation profonde qu’entretient Aurélie de Heizelin avec l’expressionnisme allemand.

Le sourire offre ainsi une composition du visage où toute beauté se disloque. Il ne s’agit pas des sourires ankylosés de Yue Minjun, mais plutôt des faces grimaçantes et relâchés de James Ensor, pourtant dans la peinture d’Aurélie de Heinzelin, cette expression entre la joie et l’effroi n’a pas lieu au dehors, mais dans le cadre de l’intime, dont l’extraordinaire gamme des roses semblent être le meilleur symbole. La viande nue, sa couleur palpitant entre le rouge et le bleu a atteint la surface de la peau. S’agit-il encore d’un masque ? Yue Minjun, Georg Grosz, Otto Dix ou encore Damien Deroubaix, qui a autrefois exposé le travail d’Aurélie de Heinzelin, ont en commun une esthétique apocalyptique, leurs peintures trahissant la violence du délitement social. Le couple et plus spécifiquement la sexualité, outre qu’ils seraient la matière du récit de soi, seraient-ils également devenus le nouvel espace où se joue l’effondrement de la société occidentale libérale et post-moderne ?