Aux sources poétiques de l’oeuvre de Corinne Mercadier

Une création menée sur trente ans s’organise en différentes séries qui se succèdent, pour un(e) artiste trouver la cohérence qui unit ces différents ensembles est une nécessité qui autorise la poursuite de ce qui peut ainsi se définir comme oeuvre. Corinne Mercadier s’y exerce depuis plusieurs années, une première présentation de polaroids , de dessins et de projets avait été menée sous l’intitulé « Images rêvées », à l’Espace Leica en 2016. L’exposition du Salon H avec un commissariat de Béatrice Andrieux dans son titre plus générique et technique « Polaroïds et dessins » montre le lien indéfectible entre l’artiste et sa production.

L’artiste s’est illustrée par ses agrandissements d’après Polaroïd et ses tirages numériques de scènes de plus en plus chorégraphiées. Revenir aux sources des petits tirages uniques des années 80 c’est mieux approcher leur fabrication pour voir comment leur structure se retrouve aujourd’hui à l’arrière plan de certaines mises en scènes. Corinne Mercadier s’est toujours intéressée à la création d’images au second degré, l’appareil instantané lui a permis aussi de se laisser surprendre par la fabrication chimique de celles-ci. Elle déclare ainsi y voir « une mise à distance de la certitude du réel ».

Pourtant la maitrise de ses images existe déjà dans les Polaroïds réalisés entre 1992 et 2008 et ici exposés. L’importance centrale de l’objet s’y manifeste dans une centralité et une perspective contrôlées. Les formes géométriques de l’architecture y entrent en dialogue plastique avec des ciels obscurs, cela doit nous remémorer que sa dernière exposition il y a trois ans la galerie les Filles du Calvaire tentait de donner cette réponse Le ciel commence ici.

Deux séries d’images instantanées produites au SX70 sont présentes au Salon H, les Glasstypes sont des photographies d’objets peints sur verre et reproduits sur un fond sombre qui permet de mieux en détacher formes et contours. D’autres images du début de la production reprennent les lignes architecturales peintes par Giotto. Les objets qui suivent sont choisis pour leur caractère incertain, renforcé par l’indécision du passage d’une technique à l’autre..

Datant des années 2000 les instantanés de Une fois et pas plus voient les premières scénarisations d’objets flottants autour de personnages à la présence elle aussi fantômale . Jouant du hasard, de la vitesse et du mouvement et luttant contre la pesanteur ces lancers recréent un monde parallèle d’une grande puissance poétique que renforcent les couleurs pastels, de presque monochromes proches du noir et blanc.

Le procédé ayant cessé d’être commercialisé en 2008, ces pièces uniques sont confrontées aux dessins produits entre 2008 et 2014 en tant que Black Screen Drawings Ils procèdent du mélange de différentes techniques encres, crayons de couleur et gouache. Contrairement aux croquis préparatoires pour les images scénographiées qui ornent les carnets de travail et qui sont plus rudimentaires, ces dessins sont très structurés. Ils s’opèrent par prolifération à partir du premier dépôt d’un fond d’encre, de là nait un espace externe d’où surgissent des fragments de formes architecturales : Béatrice Andrieux y voit « la permanence d’une scène, imaginaire ou réelle ». L’entrée des figures humaines fait résonner sur cette scène les trois coups de ce que j’ai précédemment appelé « L’opéra des performances en suspens. »