Barthélémy TOGUO The Lost Dog’s Orchestra , un monde spécifique de représentations

Barthélémy TOGUO expose à la galerie Lelong à Paris. The Lost
Dogs’Orchestra est une véritable mise en scène des œuvres de cet
artiste plasticien camerounais aux talents multiples : vidéos, photos,
dessins, céramiques, sculptures, lithographies se déploient comme un
hymne, dans une orchestration sublime, presque symphonique d’une vision
de notre monde contemporain .The Lost Dogs’ Orchestra, a été pensée
par l’artiste comme une mise en scène théâtrale pour un propos qui
ne l’est pas. Elle offre un regard sur notre société, qui connait la
souffrance en raison de ses multiples dérives économiques… Mais
Barthélémy TOGUO n’offre pas qu’une vision cynique de notre société
contemporaine, The Last Dogs’ Orchestra est un chant à la beauté.

Bartélémy Togo

« L’homme est la source de ses malheurs… J’ai pensé à l’exposition
comme une mise en scène théâtrale qui offre un regard sur la
société, notre monde contemporain, qui va mal…Si l’on regarde les
médias, une overdose d’informations, de scandales, de scoops, d’intox
nous assaille. Cela m’inspire, mais il est bien sûr important de savoir
dissocier la bonne information de l’intox… J’ai donc, en tant
qu’artiste plasticien, créé des formes pour illustrer cela.

Dès l’entrée de la salle, une fourmilière de salamandres envahit
l’espace de la galerie. On découvrira plus tard, au fond de la salle,
qu’elles dévorent un nourrisson posé sur un monticule de terre glaise.
Cette mise en scène brutale, cynique et déroutante nous montre une
société qui s’est éloignée de la solidarité humaine. Une société
malade dans laquelle on voit souffrir les autres.

Une partie du sol est recouvert de cartons d’emballages de bananes.
Matérialisation des problèmes économiques de l’agriculture des pays
du Sud. C’est un acte critique et artistique qui dénonce ce que
Léopold Sédar Senghor appelait « la détérioration des termes de
l’échange » où les prix à l’export imposés par l’Occident
pénalisent et appauvrissent durablement les agriculteurs du Sud.

Au centre, sur un tréteau est déposé un cercueil…célébration de
deuil de notre société. De ce cercueil, des mains surgissent. Elles
portent des globes. Ces mains tendues qui demandent de l’aide, ces mains
ouvertes portent le monde qu’il faut protéger.

Et sur les murs, sont disposés des dessins, qui célèbrent aussi la
beauté de « la vie… » qui est aussi ma source d’inspiration… »

Florence Valérie ALONZO :

Les plantes déposées dans l’espace de la galerie, qui se fanent et
se dessèchent, ne sont-elles pas illustration de notre société en
perdition ?

Barthélémy TOGUO :

C’est une vision négative matérialisée par cette installation
discrète, tout autour du long du mur au sol. Elle est aussitôt en
alternance avec une dimension idyllique que je présente dans
l’exposition. De la ouate, comme du coton, toute blanche, feutre
l’atmosphère de cette mise en scène. Une protection, une beauté qui
vient alterner les douleurs de l’homme. Telle est l’essence même de
l’art ! La beauté atténue les souffrances. »

F.V.A :

Dans la seconde moitié de la salle, on découvre la série des cartes
postales Head Above Water…

Barthélémy TOGUO :

« Dans cette série, que j’ai débuté en Serbie et au Kosovo en
2004, je donne la parole aux habitants de certaines villes
emblématiques Lagos, La Havane, Mexico, Hiroshima…Ils ont parlé
librement de leur environnement, de leur situation, de leurs attentes,
de leurs espoirs sur des cartes postales illustrées qui deviennent
autant de témoignages. A Auschwitz-Birkenau, seul le silence
régnait…

La beauté est l’écrin de cette exposition. Elle est au-delà de tous
ces ressentis humains. La beauté y côtoie la douleur, la sexualité y
côtoie la guerre, la guerre y côtoie le monde végétal, la souffrance
côtoie le plaisir…

F.V.A :

Au rez-de-chaussée de la galerie Lelong sont exposées des
lithographies…

Barthélémy TOGUO :

Je les ai réalisées au printemps 2009 chez ITEM EDITIONS. Une série
de lithographies a suivi par une exposition à Paris et au centre d’arts
plastiques de Chatelleraut. C’était la première fois que j’abordais
cette technique, contrairement à la gravure. Dans la lithographie, il y
a un travail de sensation, car je travaille beaucoup avec les main
libres au contact de la pierre ; j’en caresse la surface, de mes doigts,
d’un geste ramassé, avec de l’eau et de la couleur, en insistant
délicatement sur les parties sensibles. J’y laisse des tâches diluées
qui vont composer les volumes et qui se diffusent ensuite. C’est comme
faire un mixage avec des disques vinyles, comme un DJ en pleine action
et en « extase »…Le résultat est comme une étendue d’océan qui
révèle des îlots, des archipels…ou une étendue de désert qui
dévoile des oasis. Alors qu’avec la gravure, il y a une confrontation
plus physique, un combat entre le corps et l’outil, des ciseaux bien
aiguisés qui pénètrent la matière ; le résultat visuel est
différent, la sensibilité du regard aussi. Quand on regarde une
gravure, on perçoit les traces du passage de l’outil et l’empreinte
d’une action, d’une entaille et d’une « violence » sur la matière.

Avec la lithographie, on a l’impression de « cajoler », de palper
quelque chose de sensible et de lisse, de caresser « délicatement et
tendrement » comme le corps d’une femme à l’aube d’un jour d’été.
Tout y est uni et cadencé comme dans une partition d’orchestre.
L’émotion forte éveille d’abord l’esprit, puis entérine le mouvement,
qui produit ensuite la forme et va enfin procurer le plaisir, la
jouissance du regard, bref la contemplation de la beauté.

F.V.A :

Le jour du vernissage, vous avez réalisé une performance intitulée
Lamberena, performance de dix minutes, sur une musique de Bach. On vous y découvre alors disparaissant dans un sac constitué des 54 drapeaux
des pays africains…

Barthélémy TOGUO :

« A l’intérieur, je bouge, je serpente au sol, je marche debout, je
gesticule. Pour finir je ressors du sac, et je l’attache sur une
structure métallique semblable à celle des structures de poubelles de
la ville de Paris. Je voulais montrer que l’Afrique est devenue la
poubelle de l’Occident. The Last Dogs’ Orchestra est une pièce de
théâtre dans laquelle les chiens perdus peuvent être les hommes qui
ont perdu toute notion d’écologie, de morale et de solidarité. Ce
n’est que par la prise de conscience des uns et des autres qu’on pourra
rêver d’un monde meilleur… Je ne suis pas un donneur de leçon…mais
je suis attentif à notre société. J’adhère au propos de Kant qui
disait : « l’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire, il
est un moyen de mouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant
une image privilégiée des souffrances et des joies communes ».

F.V.A :

Artiste polyvalent, vous n’avez pas de médium de prédilection. Vous
utilisez la vidéo, la photographie, le dessin, la sculpture, la
céramique, la mise en scène, la performance pour illustrer vos idées.

Barthélémy TOGUO :

Cette polyvalence, je l’ai acquise au cours de ma formation
artistique dans les écoles d’art d’Abidjan, de Grenoble et enfin à la
Kunst Academie de Düsseldorf. Ces formations, plus classique à
Abidjan, davantage orientée vers l’avant-garde à Grenoble, et le
professionnalisme, le concret à Düsseldorf me donnent cette
virtuosité d’utiliser les différents média qui me permettent de
matérialiser mes pensées. Les actionnistes viennois m’ont également
beaucoup marqué, ainsi que les chanteurs de Reggae. Leur engagement,
leur rapport direct avec la société, leur capacité à susciter chez
l’homme un rêve, un engouement… »

F.V.A :

Et cette série de photographies, dans laquelle vous vous mettez en
scène…

Barthélémy TOGUO :

J’ai créé une série de photos performance intitulée « The Stupid
African President » dans laquelle je me mets effectivement en scène
pour critiquer la déforestation qui petit à petit favorise l’avancée
du désert, mais surtout, qui fait disparaître des pratiques
culturelles, des communautés qui y vivent. J’y évoque aussi le
problème du sous-sol africain avec ses richesses et son exploitation
dans « African Oil ». Le problème de l’eau occupe aussi une place
essentielle. Les problèmes sont posés. Mais la misère que vit le
continent Africain, est en partie attribuée aux leaders africains, aux
politiques. »

F.V.A :

Pourriez-vous nous parler de BANDJOUN STATION, votre centre d’Art
Contemporain au Cameroun…

Barthélémy TOGUO :

Au regard du manque d’espace pour garder la création africaine
artistique classique et contemporaine sur le continent africain, au
regard de l’absence totale de projet culturel ambitieux en Afrique, j’ai
décidé de créer un BANDJOUN STATION, pour faire de ce lieu, un lieu
d’échanges, de rencontres avec des artistes du monde entier qui
viendront développer des projets en adéquation avec la communauté
locale. A ce projet culturel, est associé un volet agricole pour amener
la communauté locale à conquérir l’autosuffisance alimentaire et
vaincre la famine, la pauvreté, la misère. Nous avons d’ailleurs planté 4000 arbres cet été 2010.

Je reste un artiste proche
des gens…un artiste qui s’inspire de notre société
contemporaine, de nos préoccupations économiques, artistiques… »