Un seul homme vient de décider des formes de sa mort comme des œuvres rares de sa collection et plusieurs scènes de la création contemporaine se trouvent orphelines. Littérature, photographie et art contemporain ont été traversés par Bernard Lamarche-Vadel, « Sa vie, son œuvre » (1).
Au cœur de ce travail, sa solitude armée nous interpelle d’abord par des rencontres privilégiées avec des artistes au plus sensible de leur œuvre. Après s’être consacré à la défense et imposition de la Figuration Libre, il s’est fait le glossateur de Beuys : « Is it about a bicycle ? » (2) reste une approche fervente de la pensée du fabuleux dessinateur comme du shaman politique. Il s’est porté aussi aux côtés de la plus forte expérience de résistance picturale des années 1970, celle de Gasiorowski, quand tant de peintres désertaient à l’époque le médium pour la photographie. Comme par compensation, c’est l’Atelier français du regard qu’il a défendu avec une fidélité sans démenti : Arnaud Claass, de ses « paysages minuscules » et « minutieux » à ses « précaires » ou Yves Guillot accompagné de ses haiku lacaniens en image jusqu’à l’architecture flamboyante de « La logeuse » (3). D’autres sont devenus ses complices, Magdi Senadji, dans son élégance tendre, Philippe Bazin aux limites cliniques des extrêmes de la vie ou Jean Philippe Reberdot dans la sauvegarde de sous-mondes entr’aperçus. Tous gardent l’exigence du peu d’images. Pour chacun comme le décrivait Jean Luc Nancy (4). Toute image qui est son propre ciel, a son ciel qui lui donne sa lumière. Chaque image rejoue une cosmogonie ». Mais à côté de cette solitude céleste de l’image, il a su trouver les arguments les plus engagés pour défendre la sérialité fictionnelle d’un Lewis Balz dès lors qu’il a transité de « Saint Quentin Point » vers d’autres univers péri-urbains. Et ceux qui auraient volontiers confondus l’exil volontaire dans la compagnie des chiens et des œuvres avec quelque aristocratique dédain ont dû recevoir, dans un silence humilié, leçon d’engagement radical au service d’une œuvre.
A l’époque des écritures pâles, avalées à gorgées de petite bière light dans le sans style, Lamarche-Vadel s’est toujours donné les moyens d’une écriture luxuriante que d’aucuns ont supputé difficile, trop touffue pour la prétendue simplicité des images. D’où sa décision d’entrer dans le versant le plus noir, celui du monde de ses mots, développé depuis « Vétérinaires », Goncourt du premier roman en 1993, jusqu’à la farce noire de « Tout casse » (5). Nous y lisons la constante aussi abordée dans « L’art, le suicide, la princesse et son agonie » (6) : Chez cet homme la confusion toujours plus inextricable entre l’appel de la mort et la volonté vaine de créer une œuvre d’art. » C’est pourtant une approche de l’œuvre totale qu’il nous a laissé avec son ensemble « Enfermement », comprenant l’une des plus grandes expositions de photographie au XXe siècle à la Maison Européenne de la Photo en 1998. Au cœur de l’institution il a recréé l’espace d’un collectionneur hanté autant par les grands clichés de l’histoire mondiale de la photographie que par le « Coyote » de Beuys. L’exposition instituait la scène d’une théâtralité dont « Comment jouer enfermement » (7) constituait la scénographie, tandis que Dominique Quessada sur un constat imagé de Magdi Senadji en apportait aux sources biographiques la critique en œuvre (8). C’est un projet plus fou encore que celui de « Mise en demeure » son dernier livre en cours de parution aux éditions Filigranes. A l’encerclement photographique effectué par Reverdot du château de la Rongère, dernier domicile de l’auteur, devait correspondre une installation apocalyptique d’images à profaner dans leur matérialité pour faire exister d’autres images à la carnalité plus animale. La diversité des voix qui s’élèvent aujourd’hui pour l’hommage le plus digne, d’artistes, d’éditeurs, de lecteurs, de galeristes, de responsables d’institution montre que l’œuvre de Bernard Lamarche-Vadel, dans sa pugnacité face à une certaine médiocratie française comme dans sa singulière radicalité s’est imposée. Qu’elle continue de nous inciter au travail de l’art et de la vie.
Mai 2001