Anne Frémy, dans un petit livre d’artiste compact, oppose sans autre légende ni commentaire le titre Bikini à 325 images du domaine militaire. Comme Christian Boltanski, mais sans pathos ni référence à la mémoire, elle travaille les potentialités de l’archive. La source principale de son corpus est l’internet : une liste de sites en fin de livre en précise la provenance.
En troisième de couverture, l’ours nous apprend que l’ouvrage correspond à une exposition à la Ferme du Buisson en mai 2005. Cependant, l’effet catalogue apparaît bien plus fort face à la seule publication. Si le terme « bikini » dans son acception courante évoque un petit maillot de bain féminin, les images du début du livre le mettent en référence à l’archipel où eurent lieu les premiers essais nucléaires. De même, on sait que le world wide web, dont on retrouve les trois w en ouverture des adresses de sites, est d’abord une invention militaire. Logiquement son usage se trouve détourné par les terroristes comme leur principale source de communication internationale.
Si ce livre apparaît comme un catalogue, il en reprend pour un certain nombre de pages de gauche la logique de monstration d’objets détourés sur fond blanc. La bonne page, selon la terminologie éditoriale,celle de droite, leur oppose souvent des diptyques qui montrent des rapprochements formels de situation de possible protection contre les différents types d’armes. Si la plupart des images renvoient à des situations récentes, certaines évoquent les premières de ces tentatives de protection ou de lutte contre les armes chimiques, comme ces monuments transformés en sculptures surréalistes suite au redoublement de leur façade par des amoncellements improbables de sacs de sable.
Dans ce catalogue d’une nouvelle manufacture des armes et menaces guerrières, on trouve bien entendu les objets du quotidien customisés par les trames et treillis chers à nos militaires universels (même l’armée suisse participe à cette iconographie sur son site). Ce premier ensemble est complété par des solutions plus ou moins hâtives et bricolées pour une architecture de survie d’abris et de caches de fortune à l’efficacité illusoire face à la menace atomique. Quelques images de souffles, de déflagrations et de champignons atomiques rendent la menace plus effective dans ce parcours documentaire.
De très rares silhouettes de soldats à une échelle infime apparaissent dans des plans plus généraux. Sinon, l’absence d’êtres humains, de civils, nous rappelle notre réduction statistique dans ces conflits à l’état de dommages collatéraux. Le plus inquiétant reste notre familiarité à ces objets comme à ces espaces qui hantent notre imaginaire et dont l’accumulation ici nous assène qu’ils ont modifié, envahi et imprégné notre vision du paysage, de l’architecture, mais aussi de la mode et du design. La dernière double page montre deux hommes en civil (des scientifiques ?) qui avancent vers nous sur un horizon métallique, seuls représentants à taille humaine dans le paysage. Ils entament enfin un dialogue avec nous, après ce voyage effrayant dans l’univers de la guerre considéré dans sa froide esthétique clinique. Comme dans les guerres récentes, l’absence corporelle des victimes est bien plus angoissante par son caractère diffus que tous les scoops des reporters.