Boîtes de contemplation à la Galerie Sit Down, position debout obligatoire !

Œuvre croisée du dessinateur Christian Roux et du designer Thomas Lemut, dix boîtes de contemplation vont nous permettre de nous confronter à un double mystère. Le premier est celui du bloc d’acier brossé accroché au mur, qui, légèrement ouvert sur les côtés de trois branchies, offre sur sa partie frontale une étroite ouverture. Le second est celui de ce que, inévitablement, nous allons être tentés de chercher à découvrir en posant notre œil sur la fente et qui se trouve au fond de chacune des boites, à savoir un dessin.

Thomas Lemut est coutumier de la mise en relation intime d’un objet et d’un dessin. Nombre de ses tables recèlent, en leur cœur, des boîtes minuscules où des reliques sont enchâssées, dessins ou papillons par exemple. Cette fois, pour accueillir les dessins de Christian Roux, il conçoit et réalise de véritables machines de capture du regard. Plus encore que le regard, ces boîtes vont contraindre chaque spectateur à opérer pour lui-même une sorte de « métanoïa comportementale ». Résultat, tout le corps devient œil, l’espace environnant est immédiatement oublié et cet œil est lancé vers le fond de la boîte.

Et là, dans l’isolement radical provoqué par notre curiosité originelle, celle de voir ce qui se passe dans la nuit primitive, la nuit d’avant la naissance, la nuit d’avant le temps individuel, l’œil, petite caméra nécessairement mobile, va découvrir un dessin. Chaque dessin est issu d’une série réalisée par Christian Roux lors d’une période de doute, sur les pages d’un cahier Moleskine. L’image de l’infirmière en témoigne. Mais l’essentiel de ces dessins, ce sont des vues d’une ville, une sorte de port improbable, qui est chaque fois et tout à fait le même et tout à fait un autre.

Dessins réalisés hors de toute préméditation, ces paysages urbains improbables ont tout de dessins d’art brut, l’insécable tangage des murs, l’irrépressible ambiguïté des thèmes, cheminées, bateaux, ponts, et la répétition de motifs abstraits, simple gestes répétés et variés parfois à peine et qui finissent par former figure. Au cœur de ce chaos vivant en lieu et place de la grande colonne vertébrale qui soutient souvent les dessins d’art brut, il y a ici une traînée blanche, rue, route ou rivière. C’est elle qui permet à cette prolifération insensée de tenir dans l’espace de la feuille. Respiration plastique majeure, elle libère l’œil de la prégnance qui se dégage de l’enchevêtrement obsessionnel des éléments et nous renvoie à l’idée de notre faille intime, celle qui, en nous, partage en deux notre cerveau.

En effet, c’est parce qu’ils sont pris dans ces boîtes magiques réalisées avec un soin d’orfèvre que ces dessins de paysages urbains improbables nous font éprouver et vivre une expérience unique. Aspirés par la nuit de ces ventres de baleines minuscules, tels des Jonas en partance pour l’oubli, nous voyons resurgir « en nous » la forme vraie des images du monde qui comme nous affectons de ne pas le savoir, sont fabriquées dans la boîte qu’est notre tête. Ainsi, ce que nous voyons ce sont non des dessins, mais bien, arrachées à la nuit du crâne, de pures images mentales qui seules peuvent nous dire comment, avant même de l’avoir vu, nous rêvons et imaginons le monde qui nous entoure.