Rester sur son impression première pour mieux découvrir une artiste, serait en quelque sorte le fil rouge de cette critique du prix Voies Off 2013 décerné par lacritique.org un samedi soir de juillet dans la cour de l’archevêché, sous un ciel bleu nuit étoilé sans Mistral.
Justement, seules les images sont données à voir aux membres du Jury, aucun CV, aucun écrit ne sont ajoutés aux portfolios examinés. La série proposée de Cristina Nunez dénote au premier regard dans le flot des séries ou non séries proposées par les candidats à ce prix arlésien.
« Au premier regard » : belle expression que je ferais mienne pour qualifier ma déambulation, ma flânerie dans cette balade photographique, cette balade visuelle. La construction implicite d’une histoire singulière se réalise au fur et à mesure des images vues. Les pièces du puzzle sont là, peut-être il en manque, même sûrement beaucoup… mais l’histoire se construit sans didactisme. Oui, c’est bel et bien une histoire, la petite histoire des êtres humains, qui se donne à voir. Et comme toute petite histoire, elle n’est pas si banale. Elle rejoint la grande Histoire. Des photographies surannées extraites d’un album de famille espagnol indiquent la période franquiste. Oui, c’est le Caudillo en personne sur cette image noir et blanc. Pourquoi est-il là ? D’autres images de famille se greffent : trois belles femmes posent sur un balcon, qui sont -elles ?
Nous entrons dans l’histoire de Cristina Nunez. Nous parcourons des pétales de roses roses et rouges jetés à la mer comme des cendres, des talus de cendres de la Shoah apparaissant comme une oeuvre d’arte povera, des lettres manuscrites, des autoportraits pris à tout âge, nus ou habillés, de plein pieds ou de buste… Cristina Nunez se raconte comme le fait Nancy Goldin. Sauf qu’ici, la pudeur dans l’exposition de son intimité est très palpable et elle nous invite sans nous y contraindre, à comprendre sa vie, ses émotions, ses sentiments, ce qu’elle est et ce qui fait ce qu’elle est.
L’histoire d’une très jolie femme espagnole, catalane, issue d’une famille marquée par le franquisme (dont le secret fut longtemps bien gardé par ses parents pour la protéger sans doute, l’après franquisme n’est pas si simple) en proie aux effets noirs de l’être humain (drogue, prostitution, auto-destruction…). Comme disent les psychanalystes, l’enfance conditionne le parcours existentiel de l’adulte. Les traumas de l’enfance, de l’adolescence et du jeune adulte sont nos fantômes et nous les charrions toute notre vie, inconsciemment ou consciemment. Cristina Nunez en a fait les frais, trivialement ; mais de ses failles, elle en a fait, grâce à la photographie, qu’elle considère comme un acte thérapeutique, une force humble, une façon de s’en sortir, de s’extraire de la part noire, maudite, trop prégnante à certaines phases de son existence. Oui, Cristina Nunez a « abusé » à la Movida de sa beauté (des images d’elle mannequin, une belle femme sur des magazines en papier glacé font irruption dans le puzzle en voie d’apparition) et a traversé le miroir de l’égo, tel un Narcisse mal conseillé, mal accompagné, mal dans sa peau, sans se rendre compte que les substances illicites gagnaient son corps et son esprit… Long combat pour sortir de cette dépendance, elle sera placée par sa famille dans plusieurs centres de désintoxication européens plus ou moins violents par les méthodes employées. Cristina Nunez apparait comme être en quête perpétuelle : ses amants, pardon ses amoureux sont nombreux et tous par leur amour lui ont apporté une part du Graal qu’elle cherche désespérément sans le trouver car « le Moi, Surmoi et Ca » sont trop mélangés et s’embrouillent trop.
Toutefois, du cri primal qu’elle photographie en Elle et plus tard en l’Autre (voir les magnifiques portraits de femmes et d’hommes, nus ou habillés, devenant Eux grâce à la photographie, à l’autoportrait participatif, et aux conseils de Cristina Nunez lors des workshops qu’elle donne à travers le monde dans des prisons, des hôpitaux, des centres d’art en ayant crée sa propre méthode, qu’elle a expérimentée sur Elle en premier), elle nous livre des autoportraits d’une sincérité indéniable. Elle, allongée nue, les jambes écartées livrant son sexe à travers le cadrage de « l’Origine du Monde » de Gustave Courbet tout en étant entière, le corps et la tête sont présents et ses yeux noirs nous invitent à lire ses pensées. Stable, équilibrée, elle est sur cette photographie. Elle est.
Mais, si elle est si posée, force harmonieuse, sur cette image, le parcours a été cru, voire cruel. Elle se photographie dans des poses exutoires, sorte de catharsis photographique thérapeutique : elle crie, elle pleure, elle se déforme, elle grimace… Et de ce chemin de croix, désolé de tomber dans l’histoire de l’art judéo-chrétienne (mais comment faire autrement ? n’est-elle pas imprégnée de la culture ibérique ? ) elle en revient riche. Et comme le pain, elle veut partager avec les autres ce chemin de croix. Les portraits des participants de ces master-class font partie de sa Vie. C’est un TOUT. Oui, Cristina Nunez est catalane et universelle. Oui, son art englobe la vie, et sa vie devient art. Sans doute est ce sa manière de survivre ? Assurément.
Cristina Nunez est de ses femmes dont la vie ne peut se raconter que sous la forme de ce portfolio, dont l’éditeur Le Caillou Bleu a publié un très bel ouvrage en 2012 montrant beaucoup plus d’images que celles présentées au concours Voies off 2013. L’agencement oscille entre des images de son album de famille, des impressions, des portraits, des autoportraits, des lieux … et c’est à nous de reconstruire l’histoire. A l’image des double-pages encadrant « le récit » (sa grand-mère écrivait dans le sens horizontal puis vertical pour économiser du papier (pénurie) et cela fait un damier incompréhensible au départ puis le sens apparait…), le sens n’est pas inné, la vie n’est que construction, fait culturel et passionnel. La galerie du 4 septembre (K-écho-photo) pendant la semaine des Rencontres a projeté deux films de Cristina Nunez, « Someone to love » (24’) et « La vie en rose » (27’) dans une cave. En lien avec ce dernier film racontant sa vie, sa mise à nu, en procédant comme elle l’a fait pour son port-folio, par ellipses , Cristina Nunez a donné de sa personne (mais c’est sa vie) en se mettant en scène dans une performance à l’image du propos de la vidéo, une recherche de l’âme soeur, une recherche de l’être aimé, une recherche du salut et de la rédemption… Il faut saluer le travail remarquable de Carole Colnat (K-echo photo) qui suit le travail de Cristina Nunez depuis très longtemps et dont la connaissance de son travail est affective, amicale et pointue.
En essayant de rester sur l’impression globale de ce qui peut déterminer un jury sur son choix d’élire à l’unanimité tel ou tel candidat, avec les seuls éléments dont il dispose à sa connaissance (uniquement un port-folio de quelques images sans entretien ou/et données biographiques de l’auteur etc) : « au premier regard », l’oeuvre de Cristina Nunez a percé de par la maturité exceptionnelle acquise au fil des années, la densité exceptionnellement forte, d’une beauté autre, d’une humilité sur les failles humaines sans pareil… Voilà pourquoi elle a conquis l’ensemble du Jury (au moins ce que j’en perçois. je n’exprime que ma personne à travers cette critique sans pour autant être, je pense, en porte-à-faux avec les autres membres).
Les autres critères participant à la connaissance de son oeuvre, livre, vidéos ne viennent qu’après avoir émis l’avis. Mais ils sont des plus importants et je vous les recommande vivement ainsi que le site de l’artiste.
A Lyon, le 18 aout 2013