« « Carrément vert » – D’entrée, le titre de l’exposition collective du Grap’s fouille la pensée d’une séparation entre nature et culture, de ce qui est projet de géométrie dominante et de ce qui serait naturalité, l’homme inclus et tentant de s’émanciper. Peut-être parce qu’il n’y a pas de vocabulaire universel de la couleur, le vert peut s’accrocher à une symbolique et à une polysémie aussi complexes que fluctuantes, s’approchant ou s’éloignant de la référence aux parties herbacées des végétaux.
Du temps du mythe à un présent qu’il croit subir, l’homme a-t-il perdu la conscience d’un horizon vert ? Avec leurs convictions de citoyennes et de citoyens conscients d’une urgence, onze artistes ouvrent leur œuvre, entre inquiétude, ironie et alternatives, au bousculement de l’attentisme et de l’inaction. »

« Le premier matin du monde » (Kambach Moshgelan, 2020) était-il différent ? Que peuvent aujourd’hui nous apprendre les mythes où l’homme, parlant et écrivant le combat des forces fastes et néfastes, distingue et nomme ce qu’il perçoit comme autre préexistant. Dans les tableaux de Kambach Moshgelan, comme un rêve de temps à distance en écho aux miniatures persanes, s’imagent des souvenirs et des récits de femmes, d’hommes, d’arbres et d’animaux qui sondent nos fractures actuelles (« Soudain l’apparition », « L’arbre »…).

Vert, c’est aussi un jeu qui danse dans nos têtes, prendre sans vert ou sur le vert, la vie en vert, vert de rage ou se mettre au vert. Se prendre au jeu créatif (Nadine Fort : « Danse du green » ; « Nuit verte » ; « Verre de green »… 2020), se laisser emmener dans la poursuite onirique du vert, des formes auxquelles il s’attache ou dont il se détache (Barbara Goraczko : « Verre pomme, Vert raisin , Vert horizon, au-delà de la forme » ; « Iris, la forme s’accroche et résiste »… 2020).

Pour autant, le « vert » est-il nature ? À leur façon, Patricia d’Isola, et Françoise Véron Goldstein agitent la trop évidente équivalence et les facilités discursives qui en découlent. Comme pour un site de rencontres, où toutes les histoires seraient des ratées, l’une habille l’espoir ultime d’une alliance durable d’une robe de mariée verte (Patricia d’Isola : « Cohabitation coriace, Jeu de dupes ? », 2020) ; l’autre, récupérant objets et cartes postales, les détournant, les hybridant, interroge les fantasmes d’une retouche du réel (Françoise Véron Goldstein : « Disparition » ; « Éternelles vacances – Il n’y a plus de… », 2018-2020)

Entre fiction et réalité, le recyclage est-il la solution ? Modifie-t-il notre volonté de posséder le savoir ou les choses ? L’accumulation des connaissances permet-elle d’en digérer l’obsolescence ? Du retour à la pâte à papier d’une encyclopédie à son montage en millefeuilles, Patricia d’Isola et Christophe Le François croisent recettes, jeux de mots et symboles d’une société de consommation fondée sur la nouveauté du toujours plus (« Tout l’univers recyclé, tome 1 »).

« La Terre, fatiguée, abimée, meurtrie par les actions irréfléchies des hommes ». Personnifiée, la terre est un mythe qui dit l’impuissance des hommes à penser dans un même mouvement une totalité qui les inclut et dont ils tentent de s’exclure. Symboliquement, Agata Preyzner en évoque les contradictions en opposant une maquette rouillée et craquelée de la planète et des images de luxuriance végétale, peut-être l’espoir d’un fil vert qu’elle lance aux visiteurs (« Réparer la terre » ; « Carré vert 1, 2, 3, 4 », 2020)
Temps du doute ou de l’action ? Des deux, peut-être, mêlés, quand la minéralité de la banlieue aspire à la couleur, engage la mémoire d’une diversité vivante que ne rend plus que la vibration de la peinture ancienne au musée des impressionnistes ? Agata Podsiadly-Agapoly, par l’association de gravures sur photographie et d’installations végétales, y emporte le regard, armé des questions qui taraudent l’inertie (« Résilience urbaine », 2020 ; « Je te rends ta couleur », 2020).

Penser, agir au temps de la folie qui submerge et de la colère qui déborde, Christophe Le François prend à témoin la mémoire et l’historicité des représentations comme matière de la révolte, Pourquoi tu tousses ? « Pulsion de vie, de mort, colère et folie… » (polyptique de mosaïques de verre sur bois, 2020) ; ou se laisser guider par le ressenti, l’émotion, l’incertitude du regard, entre rêve et réalité, pour ouvrir, par une image autre, les possibles dans l’horizon des doutes (photographies de Sophie Patry).
« San Francisco green », « Amsterdam green », « Cherbourg green », « Dreamland green », « Berlin green », « Brest green », « Bruxelles green » (2020), au-delà du mur de l’exposition, la poésie de l’écriture / peinture de Louis sur la ville et la rue s’offre au visiteur, en jeux superposés, comme un mystère, un langage à déchiffrer sur l’artiste, sur l’autre, écorchés du libéralisme et « fous de vivre ».

« Carrément vert », c’est aussi dire, en amont du manifeste, l’expropriation, la destruction, l’effacement du végétal et de ses mémoires, l’oubli des mouvements poétiques de la lumière. Teruhisa Suzuki les récrée dans un « Dôme » de bambous, transposant, à la manière d’un sténopé aux mille yeux, les images du ciel, de la forêt et de la montagne (vidéo du montage de l’installation à Utsunoya, Japon, en 2008, après le creusement de tunnels pour désengorger la route nationale numéro 1).

« Plutôt qu’une volonté vaine de maîtriser la nature, on cherchait à retrouver une place dans un monde où l’homme n’en était qu’un vivant parmi d’autres dans un monde de relations et de valeurs. Alors, des perspectives de vivre ensemble apparaissaient. Fragiles certes, mais ouvrant des possibles et des espoirs. » (Arnaud Mayrargue, texte affiché sur les murs de l’exposition).