L’exposition de œuvres de Cécile Bart qui vient de débuter à la Galerie Chez Valentin, Paris, se démarque quelque peu des grandes installations habituelles de l’artiste. Le titre « Damiers, Diegos, Monos » marque un léger glissement qui semble s’opérer dans son travail. Le premier indice est peut être que l’évocation des monochromes arrive cette fois en dernier dans l’intitulé. Ceux-ci sont pourtant toujours présents et du plus bel effet, notamment celui qui se détache sur le mur avec ouverture sur le bureau offrant ainsi les qualités en apparence paradoxale de surface écran et de passage translucide.
Quelques soient les figures que nous détaillerons ensuite, les treize peintures de l’exposition possèdent les caractéristiques habituelles des œuvres de Cécile Bart. Les trois types de créations différentes font jouer les variations formelles et colorées par-delà les invariants structurels, à savoir de la peinture glycérophtalique déposée en fine couche sur tergal « plein jour », le textile étant ensuite collé sur un châssis métallique, inox ou aluminium.
Une déjà longue expérience
Avant de rentrer dans les détails précisons ce qui fait les caractéristiques et la singularité de ces œuvres depuis de nombreuses années. L’artiste a développé une approche personnelle en choisissant une peinture sans épaisseur, sans touches, sans stratification, jusqu’à maintenant sans motifs, avec pour seuls objets tangibles le châssis et le subjectile de tergal. Le procédé d’élaboration matérielle de chaque œuvre se laisse deviner facilement mais processus créatif, la poïétique, ce qui touche la sensibilité du regardeur, tout cela reste mystérieux. La constitution même des œuvres incite le regardeur à se déplacer pour constater les légères variations dans la même couleur posée. Par son aspect global, chaque création ressemble à un très grand écran de sérigraphie. Les restes de l’intervention de l’artiste sur cet espace se réduisent ici au strict minimum. C’est justement parce qu’il n’y a presque rien sur cet écran que celui-ci excite notre désir et nous pousse à chercher les indices d’un apparaître dans l’économie visuelle. La peinture/écran de Cécile Bart renouvelle les caractéristiques d’une surface d’attente.
Les interventions de l’artiste viennent donner un peu de corps à ce support transparent sans lui faire perdre sa caractéristique initiale. Le maintien de la transparence est très important car il décale ces œuvres des effets peau à recouvrir, à maquiller, caractéristiques usuelles de la peinture. On sait que le tableau a d’abord été un objet de recouvrement et de négation du mur. Le choix de la peinture sur tergal décale l’un des principes essentiel la peinture ; il ne s’agit plus de déposer une matière propre à recourir un support considéré comme un subjectile mais de venir travailler dans l’infra-mince du voile avec la couleur même. C’est précisément le caractère subtil du travail de l’artiste qui nous intéresse : ici le mot retrouve son sens original puisque subtil a pour origine étymologique sub-tela, sous la toile et ici la plasticité inscrite « dans » le textile se joue aussi en relation à ce qui a lieu dessus. L’écran de tergal capte la lumière et la renvoie différemment selon les endroits. En se déplaçant le spectateur apprécie les variations des brillances, les miroitements, les moirures conséquences de la texture chromatique du support. Il est très difficile de rendre compte en photographie de ces effets que l’on apprécie devant la réalité des œuvres, la peinture doit s’apprécier de visu, et c’est très bien ainsi.
Les peintures écrans ont conduit Cécile Bart à développer des relations ouvertes avec les lieux de suspension. La translucidité a depuis longtemps incité la plasticienne à jouer sur la mise en espace de ses œuvres. L’accrochage des créations se détermine en rapport avec les éléments architecturaux du lieu. Le choix peut être de disposer plusieurs écrans en parallèle aux fenêtres et aux murs ou perpendiculairement à ces derniers. Pour de plus vastes installations (Suspens, Dijon, 2009 et Genève, 2012, Moteur Thouars, 2013, Hanged and Happy, Hong Kong, 2013), l’émancipation des écrans est totale : ceux-ci occupent l’espace de la salle d’exposition en s’orientant dans toutes les directions.
Nouvelle exposition
Que propose Cécile Bart dans les différentes interventions picturales de cette exposition ? Dans les monochromes elle continue de désigner le support de l’image, le voile de tergal, peint et essuyé, comme le lieu de la révélation/disparition de celle-ci. Dans ces tableaux monochromes des relations spatiales s’établissent entre le plan de l’œuvre et le mur ou parfois un espace ouvert en arrière de l’écran.
Dans les « Damiers » et les « Diegos », sans renoncer aux caractéristiques habituelles, elle entreprend d’élargir ses capacités d’échanges entre les espaces, les formes et les couleurs mais cette fois aussi sur l’écran de tergal. Ces nouvelles peintures écrans deviennent le lieu d’une apparition iconique minimum. Alors que les créations monochromes proposent toujours une immersion dans la couleur sans autres frontières que le châssis, les créations nouvelles installent des limites, des séparations, des scansions orthonormées ou obliques. On remarque que ces « dessins » de structure sont déduits de la forme carrée et des dimensions choisies pour les châssis. Tous les « modules » des damiers ont la même dimension : 50 x 50 centimètres. Il y en a donc 16 dans les toiles 2 mètres, 9 dans celles 1 mètre 50 et 4 dans les œuvres 1 mètre de coté. Un nouveau dialogue s’instaure entre la structure métallique très objectale et des figurations quadrangulaires plus évanescentes.
Dans les monochromes la vacance de l’écran fait appel à des regards librement explorateurs. Les œuvres séparées en deux selon la diagonale (les Diegos) installent un dialogue entre les deux étendues colorées, chacune manifestant un niveau de visibilité différent. L’œil se balance de l’une à l’autre et aussi s’attarde sur la frontière, ce lieu de contraste et d’échange. Comme les « Monos , les Diegos, et aussi les Damiers laissent voir les traces de dépôts et d‘effaçages de la peinture, ce sont les vestiges des contacts successifs de l’auteur (qui fut aussi ôteur) avec le subjectile. Petit souvenir cézannien, les traces laissées de part et d’autre facilitent les passages.
Encore plus que la ligne diagonale, la grille vient marquer les lieux et installer des signes dans un espace qui, en s’ordonnant, tend à faire image sans pour autant faire sens. Avec 4, 9 ou 12 carrés la hiérarchisation par la couleur des espaces se complexifie progressivement. Toute habileté de l’artiste est de maintenir le plan malgré la multiplication des contrastes de teintes et de valeurs. Comme nombre d’artistes ayant utilisé la grille dans leur composition, Cécile Bart joue des effets de superficialité et de profondeur fictive, maintenant pour chacune des œuvres une certaine platitude tout en installant subtiles différences. Aux différences de saturation entre deux rouges, ou de teinte entre deux gris plus ou moins chauds, s’ajoutent les effets de pseudo profondeur.
L’ambiguïté règne puisque tel carré semble venir en avant par contraste de couleur alors qu’il recule lorsque il est considéré en rapport avec ceux qui l’entourent. On peut examiner de nombreuses fois les plus grands damiers en faisant des parcours différents. La grille n’est pas sans rappeler celles de l’art minimalisme mais sans opter pour des régularités strictes. La grille propose une ordonnance invariable accordée au châssis. C’est une organisation spatiale tout à la fois autoritaire et inexpressive. Au lieu de s’y opposer, cette structuration linéaire plane parvient, dans ces œuvres récentes de Cécile Bart, à exalter les effets picturaux mesurés de la couleur et de la texture. Avec une connaissance réelle du vocabulaire moderniste, notre artiste adapte celui-ci aux expériences qui sont les siennes. La grille posée ne contredit pas le travail de peinture, elle favorise au contraire une délectation des battements de couleur mouvants, multiples, plus instable qu’il n’y paraît. La grille sous une apparence contraignante offre une très large opportunité dans la mise en place des couleurs.
La mise en couleurs d’une grille de manière sensible et avec des teintes nuancées est un exercice complexe. Gerhard Richter reconnaissait que la mise en œuvre de ses nuanciers, comme la série des 180 couleurs (1971), lui avait posé de multiples problèmes pour assurer l’unité et la diversité de l’espace pictural. La multiplicité des expériences antérieures a permis à Cécile Bart de mettre en place une juste présence des différents modules colorés. Sur ces voiles de tergal, les interventions picturales de l’artiste offrent, par leur tactilité subtile, des révélations plus lumineuses que véritablement optiques.
Le protocole mis en place par l’artiste s’appuie sur des non dits, des prises de positions discrètement négatives : pas de marques d’un temps spécifique, pas de traces de la vie domestique, pas de signes d’une intimité personnelle. Le champ de référence maintenu est celui d’une histoire de l’art assez récente, celle de l’abstraction, mais dégagée des charges novatrices des expériences historiques. Conférer à la couleur une présence dans une neutralité habitée peut se faire aujourd’hui sans nécessité de mise en place de quelque questionnement sociologique ou politique.
Il y a dans ces écrans un battement spatial, un jeu alternatif d’absence et de présence, une succession d’événements, tous conséquences d’une souple conduite par l’artiste des écarts tangibles à produire dans la mise en œuvre des visibilités.