Suspens, la nouvelle exposition de Cécile Bart au Frac Bourgogne, présente, avec 21 toiles monochromes, de nouvelles géométries dans l’espace qui se laissent aussi facilement saisir par assemblages discrets et successifs qu’elles échappent à toute saisie en raison même de l’infinité de leurs combinaisons.

Ce n’est pas la première fois que les peintures/écrans de Cécile Bart sont placées à des hauteurs différentes, verticales, horizontales, droites ou inclinées, contre le mur, sur le mur, au milieu de la pièce, posées au sol sur des cales ou tenant l’équilibre sur les pointes, ce n’est pas la première fois qu’elles sont dispersées dans l’espace qu’elles se chevauchent, se superposent, pas la première fois non plus qu’elles sont suspendues –elles l’ont été au dessus de nos têtes (à Strasbourg), mais c’est la première fois que toutes ces composantes sont réunies en une seule installation, à ceci près qu’aucune toile n’est au sol ni au mur. Toutes sont suspendues de 1cm à 3 m du sol, inclinées selon des angles variables, espacées d’intervalles irréguliers mais suffisamment larges pour que le corps s’y introduisent, au centre au moins le long d’une transversale, et se glisser ça ou là où finesse et agilité le permettent. Trois espèces de formats pour une vingtaine de toile se partagent une douzaine de couleurs monochromes qui puisent dans le nuancier de Cécile Bart composé de vert jade, violine, bleu carnégie, bleu alcantara, orange navel, orange coloquinte, rouge carmin, rouge morgon, gris cendre, vert hêtre, vert jaune tendre …

Pour ceux et celles qui n’auraient jamais vu des peintures/écrans de Cécile Bart il est essentiel de savoir que chaque toile est un voile de tergal « plein jour », tendu sur châssis et peint à la brosse. Une couleur est appliquée ou deux successivement, avec un ou plusieurs passages (selon la couleur désirée), entrecoupés d’opérations d’essuyage répétées selon la densité souhaitée. Le résultat est toujours un monochrome translucide qui fabrique « des lumières obscures »

Les toiles sont ici sans dessus dessous, elles se donnent à voir indifféremment à l’envers, à l’endroit, sur la tranche, par l’angle, en perspective. Seule la frontalité a disparu, et avec elle l’unicité de la toile. Il est impossible de voir une seule toile à la fois, non seulement parce qu’elles se jouxtent et se superposent dans l’espace mais aussi parce que chaque cadre saisit un essaim d’autres toiles ; sur chaque monochrome se projettent des compositions de lignes et de surfaces colorées, dont les géométries se forment et se déforment avec les positions des spectateurs. Aucun point de vue n’est privilégié, ils se valent tous et leurs diversités sont convoquées. Suspendues de haut en bas et sur toute la longueur de la pièce dont la lumière est uniquement zénithale, les toiles forment un ensemble de figures planes et de géométries tridimensionnelles qui ont à voir avec les Prouns d’ El Lissitsky, les constructions de Moholy Nagy, des compositions de Vilmos Huszar, avec les lignes et les perspectives suprématistes, avec les recherches de dynamiques spatiales où les couleurs primaires et secondaires sont vecteurs d’énergie. Les écrans ne forment plus un décor qui attend du spectateur qu’il active les reflets, les transparences, les opacités. Cette observation convenait aux installations précédentes qui prenaient encore appui sur un support et conservaient une sorte de statisme. Dans l’installation Suspens, les peintures/écrans sont surtout des vaisseaux-voiles qui planent les unes au-dessus ou au-dessous des autres, fendent et découpent l’espace, tracent des lignes de fuite, s’élancent les uns vers les autres, s’évitent, s’écartent, se redressent. Ces mouvements se figent en une image quand ils sont, un instant, interceptés par un écran translucide et par nous à travers lui. Ainsi voyage t-on toujours entre une installation réelle et éclatée de monochromes, de différentes tonalités, et des configurations virtuelles et serrées de polychromes. Mais rien n’est jamais arrêté, pas plus les couleurs que les figures dans l’espace et le plan. Le ressort intangible de ce cinétisme est le suspens, non pas seulement celui qui tient les toiles en apesanteur, mais celui qui retient l’élan, réserve le geste, interrompt le trait, substitue l’attente à la chute, le devenir au fini.

Espérons que le devenir de ces toiles rencontre les collections au musée d’art moderne où elles auraient leur place au milieu d’elles@centrepompidou