Cédric Bouteiller, la mixité plastique

L’artiste plasticien Cédric Bouteiller mélange dans ses créations des images d’origine diverses, reproduites en tailles variées, qu’il associe à de larges gestes abstraits. Le résultat est plus complexe que ne laisse entendre cette formulation. L’œil du regardeur se perd dans la recherche des nombreuses sources iconiques associées pour constituer ces œuvres. On remarque une prédilection pour les photographies de scènes urbaines avec une préférence pour les grandes villes et pour New York en particulier. L’autre source d’inspiration présente dans cette exposition est la figure féminine reproduite en grand sur tout le format ou en multiples petites vignettes.

Il expose actuellement à la Villa Alliv. On appréciera au passage la dénomination en palindrome de ce nouveau lieu installé à Marseille. Celui-ci a le projet de développer des expositions, de permettre des résidences d’artistes tant des plasticiens que des musiciens de la scène électro. Sur les murs de cette villa encore en rénovation Cédric Bouteiller a installé des œuvres de grand format (souvent plus de deux mètres) et, dans les couloirs, de plus petites créations.
Le travail de l’artiste ne débute pas dans l’atelier comme on pourrait le croire ; il commence dans la rue et un peu partout dans le monde. Cédric Bouteiller accumule des photos du monde réel qu’il complète par des images issues de magazines divers, aussi bien les magazines people que des publications artistiques. Un choix photos est ensuite regroupé sur ordinateur pour produire une image de base réalisée par photo montage. Lorsqu’elle est jugée satisfaisante, celle-ci est imprimée sur un support en aluminium brossé.

Toutes sortes de formats et de tailles sont alors possibles puisque l’artiste a détourné les techniques nouvelles d’impression industrielle à plat. Bien qu’il ait savamment organisé cette image composite de base, celle-ci va encore subir diverses interventions qui pourraient sembler de prime abord négatives. Le travail pictural peut commencer sans peur du manque d’inspiration de la page blanche ou grise. L’artiste qui a une formation initiale solide et déjà une grande expérience, peut ensuite improviser en utilisant toutes sortes de matériaux et toutes sortes d’outils présents à l’atelier. Sur l’impression numérique il intervient librement avec des collages, des pochoirs, des impressions sérigraphiques. De grands mouvements au pinceau sont aussi présents ; ils rappellent que l’artiste a d’abord été un peintre abstrait qui admirait beaucoup le travail de Zao Wou-Ki.

L’œuvre va friser la destruction pour renaître, telle le phénix, encore plus complexe, plus intrigante pour le regard, plus singulière car maintenant authentiquement Cédric Bouteiller. Depuis de nombreuses années celui-ci a, progressivement, donné plus d’importance à une accumulation de couches qu’à une construction par touches dans l’élaboration des œuvres. Les interventions se succèdent sur toute l’étendue du subjectile ; elles installent des strates qui s’ajoutent les unes aux autres. Celles-ci avanceraient vers le spectateur si l’artiste ne veillait pas, par de judicieuses reprises colorées, à faire reculer visuellement certaines zones. L’utilisation de la couleur et des transparences permet de jouer sur toutes sortes d’échanges spatiaux. Dans cet univers mixte, diverses formes d’écriture trouvent leur place : certaines appartiennent aux images photographiques comme les publicités des enseignes, d’autres sont des lettres pochoirs ou encore des graphes déclaratifs comme Amour, Enjoy, Freedom.

Cédric Bouteiller est très attentif à la création d’un espace de faible profondeur. Suivant le moment de la création, ses interventions visent à assurer la structuration de la composition ou au contraire à ramener tout ou partie de celle-ci vers le chaos qui, on le sait, est un état de confusion qui précède une nouvelle organisation des choses. Il est attentif aux effets induits durant la genèse du tableau, donc aux jeux du hasard. Tel tableau a pris la pluie, les effets inattendus vont l’intéresser, il va tout faire pour les conserver.

Dans cette exposition l’artiste montre toute l’étendue de sa culture visuelle. On rencontre ainsi dans la même image une représentation de Mickey, un pochoir figurant Charlot, un autre Rimbaud, des citations d’artistes comme Keith Haring ou de Robert Indiana. Les quatre lettres du célèbre LOVE, mises au carré, de l’artiste américain sont reprises en divers lieux et sous plusieurs tailles. Durant ce parcours on comprend que ce « Time Square artiste » aime tout à la fois la vie urbaine, la culture Pop, le monde des lumières changeantes comme celui des grapheurs de l’ombre. Sans être à proprement parler lui même un grapheur ou un artiste du Street Art, Cédric Bouteiller montre qu’il maîtrise aussi ces savoir-faire ainsi que la culture qui va avec. Sur l’un des murs de la Villa Alliv (actuellement en réfection) il a réalisé une intervention murale montrant son aisance dans ces pratiques.

Lorsque l’œuvre semble terminée l’artiste procède au finissage en déposant, à l’horizontale, une épaisse couche de résine époxy. Cette surface parfaite, tel un verre, protège et met à distance l’ensemble de l’œuvre désormais constituée comme tout. Comme la mise sous boite de plexiglas des productions sur papier, le passage de la résine conforte le statut d’objet de ces peintures : objets transportables, exposables, vendables. C’est confirmé par le curriculum qui rappelle les nombreuses expositions en galeries et les multiples participations de l’artiste aux foires internationales depuis une dizaine d’années. Cela souligne aussi la fructueuse ambiguïté de ces créations qui cultivent une esthétique de sous-culture tout en visant une certaine reconnaissance culturelle.

Si tout cela tient si bien ensemble c’est dû à la parfaite maitrise des savoir- faires plastiques de cet artiste, à une réelle connaissance des mouvements artistiques contemporains qu’il a su associer à son intérêt pour une esthétique décalée.
Cédric Bouteiller n’est ni photographe, ni peintre, ni grapheur, ni pop artiste mais il parvient à faire mieux : il est tout ça à la fois.