« Nous pensons à travers nos mères si nous sommes des femmes ». – Virginia Woolf
Virginia Woolf place la mère au centre de l’impulsion créatrice, la voyant comme une figure clé de la mémoire et de l’inspiration. Pour de nombreuses femmes artistes, cette relation mère-fille est un terrain fertile pour questionner leur héritage et leurs racines, comme en témoignent les œuvres d’artistes des années 1960 et 1970, à l’ère du mouvement féministe. Des figures telles que Louise Bourgeois, Valie Export et Mary Kelly ont exploré ces thèmes, redéfinissant la maternité comme un espace de transmission et d’émancipation, en passant du patriarcat au « maternage » féministe.
Dans la continuité de cette pensée, Celeste Leeuwenburg, artiste franco-argentine, s’inscrit pleinement dans une tradition de réappropriation féministe, interrogeant les relations entre corps, identité et mémoire culturelle. Son œuvre, profondément influencée par son héritage argentin et un environnement familial marqué par l’art, s’imprègne de la mémoire et des histoires du passé.
Sa première série, présentée à la foire d’art contemporain à Buenos Aires ArteBa à 16 ans, reflète déjà cette démarche, où elle explore les représentations de la féminité et du corps.
Plus tard dans la série Rosa Soft Sculpture, une installation d’une gaze d’hôpital de six mètres de long et teinte en rose donne lieu à une performance dans la ville de Paris. Un chemin retraçant les liens de l’artiste avec cette ville qu’elle a quittée étant enfant. Cette étoffe légère, en mettant en scène des formes organiques qui symbolisent à la fois la fragilité et la force, se pose sur son environnent comme un pansement, une protection. Le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, dans cette ville blessée, cette installation est complétée par une série photographique où des corps de personnes d’âges différents et de nationalités diverses, sont en mouvement enveloppés dans cette même gaze d’hôpital. Par cette démarche, Leeuwenburg met en avant la transmission intergénérationnelle et explore les questions identitaires et culturelles.
Ce rapport au corps en mouvement, Leeuwenburg l’aborde sous la forme d’une installation vidéo en 2019, intitulée À partir de ce qu’elle m’a dit et ce que je ressens. Dans cette série inspirée des récits artistiques de sa mère, l’artiste argentine Delia Cancela, Leeuwenburg met en scène des performeurs dans des costumes de l’époque faisant référence à une période punk féministe dont sa mère faisait partie. À partir de ce qu’elle m’a dit et ce que je ressens est une œuvre marquante de Celeste Leeuwenburg, créée dans le cadre de la découverte de ses racines et de son héritage familial. Présentée aux Rencontres d’Arles en 2022 dans le cadre du Prix de la découverte Louis Roederer, cette installation multimédia intègre des éléments de danse, de performance et de vidéo, abordant de manière intime et sensorielle la question de la transmission générationnelle. À travers des gestes chorégraphiés et des projections vidéos, elle entrelace passé et présent pour recréer une conversation entre elle et sa mère, mettant en scène les émotions et les souvenirs associés à cette filiation artistique. Ce dialogue visuel et gestuel traduit aussi la fragilité et la complexité de la mémoire collective et personnelle. L’installation est immersive, cherchant à envelopper le spectateur dans une atmosphère à la fois intime et universelle. Le recours au médium vidéo permet, quant à lui, de capter et de diffuser des moments fugaces, comme des fragments de souvenirs, qui se chevauchent et se dissolvent, créant ainsi une impression de temporalité flottante. Cette exploration poétique et visuelle rend hommage à la mémoire transmise par sa mère, puisant dans cette relation une source d’inspiration et un cadre pour exprimer des questionnements identitaires et culturels. Cette série créée en 2019, Leeuwenburg la décline sous forme d’un leporello dans un nouveau projet de livre d’artiste à édition limitée édité par Lab by MAI, maison d’édition au Luxembourg, dont la sortie est prévue pour début 2025.
L’approche multidisciplinaire de Leeuwenburg, qui fait fusionner la danse et la vidéo, est à la fois introspective et universelle, suscitant une réflexion sur la place de chacun dans sa propre histoire familiale. Cette série ne se limite pas à la relation entre une fille et sa mère, mais explore aussi la dynamique entre deux femmes artistes vivantes. Son travail est ainsi un témoignage poignant du pouvoir de l’art à transcender les générations, touchant à la fois la sphère personnelle et collective.
Dans cette continuité, Leeuwenburg initie en 2021 Ella Baila, un projet qui rétablit la mémoire d’une autre artiste argentine majeure : Marcia Moretto. Figure emblématique de la scène artistique underground argentine, danseuse légendaire, mannequin, chorégraphe et metteuse en scène, Moretto s’est réfugiée en France dans les années 1970, fuyant la dictature militaire, et est devenue une influence majeure malgré sa mort prématurée en 1983 à 36 ans. Bien que sa présence ait marqué de nombreux artistes, y compris Catherine Ringer des Rita Mitsouko qui lui dédiera la chanson « Marcia Baïla », il existe peu de traces visuelles de ses performances et de sa danse, ce qui fait de son héritage un fragment de mémoire fragile et partiellement effacé. Pour pallier ce manque, Leeuwenburg conçoit Ella Baila, projet en cours qui n’est pas simplement un hommage ; il devient un acte de transmission culturelle et artistique.
À travers ses créations, Leeuwenburg met en lumière l’idée que l’art est un lieu de dialogue et de mémoire. Ses installations font de l’expérience personnelle une porte d’entrée vers une réflexion universelle, rendant hommage aux femmes qui l’ont précédée tout en invitant le public à questionner ses propres racines et à reconnaître la continuité des expériences féminines à travers le temps.
Celeste Leeuwenburg est une artiste franco-argentine qui vit et travaille à Paris. Autodidacte, elle se forme aux côtés d’artistes et cinéastes argentins avant de revenir s’installer à Paris.
Elle s’intéresse à la mémoire, aux émotions, aux histoires vécues, qu’il s’agisse des siennes ou de celles des autres, pour les réinterpréter et les transformer en œuvres du présent. Dans ses séries les plus récentes, elle accorde une forte importance à la direction des corps et des mouvements.
Son travail a été exposé notamment au Musée d’Art moderne de Buenos Aires et à la Galerie Artemisia à New York. En juillet 2022 elle est finaliste et exposée aux Prix découverte Louis Roederer dans le cadre des Rencontres de la Photographie d’Arles, avec sa série « From what she told me, and how i feel » Direction Christoph Wiesner, avec le commissariat de Taous Dahmani. Elle présente cette même série en novembre 2022 au Festival international Jimei x Arles (Chine) ainsi qu’au Festival Emop Luxembourg en mai 2023.
Pour le projet « Ella Baila » elle est lauréate du Prix Les Filles de la Photo, un mentorat sur 15 mois qui s’est déroulé en 2022-2023.