Charles Pollock, peintures, pastels et compagnie

Tandis que le musée national Picasso expose les peintures de jeunesse de Jackson Pollock jusqu’au 19 janvier, la galerie etc. sise également dans le Marais propose jusqu’au 30 novembre une nouvelle exposition de Charles Pollock, le frère aîné (10 ans de plus). Le lieu et la période de création des œuvres ne sont pas les mêmes : New York et Long Island, 1934-1947 pour Jackson et Paris, 1972-1979 pour Charles. Ce dernier a longuement travaillé aux États Unis et fréquenté le milieu artistique new-yorkais avant de choisir, à 69 ans, de venir s’installer à Paris en 1971. Avant de venir en Europe, sa production artistique avait déjà évolué plusieurs fois. Il pratiqua durant un temps la fresque, puis le réalisme social avant de se tourner vers l’abstraction, notamment dans la lignée du Color-Field. En France, même s’il continue à voir ses amis américains de passage, il se familiarise avec la peinture impressionniste et celle de Monet en particulier. Il ne manque pas une occasion d’aller à Giverny. Ses nouvelles productions picturales abstraites vont chercher la meilleure manière de trouver différents accords entre la couleur et la lumière. Il suit aussi les chemins empruntés par Paul Klee, Henri Matisse, Juan Miro et Barnett Newman, comme on le verra plus loin.

Les images des pères (et grands-pères) apprivoisées, les notions afférentes à ces recherches progressivement intégrées, il restait à inventer de nouveaux gestes susceptibles de marquer des différences. Pour tout artiste en recherche, il y a impossibilité de se saisir vraiment du langage plastique antérieur, celui qu’il a repéré chez ses aînés. Il ne peut poursuivre ses recherches que s’il perçoit dans ce qu’il produit une invention qui le distingue des formes artistiques connues.

Charles Pollock produit des images picturales différentes de celles déjà vues. C’est vrai aussi ici de celles exposées cette fois à Paris, réalisées après la fréquentation d’œuvres plus européennes qu’américaines. Cette nouveauté, les visiteurs peinent à la formuler avec des mots. Les images si subtiles produites par cet artiste sont des défis aux langages cherchant à en rendre compte. Il procède sans se presser par répétition régulière de marques semblables. Cela est particulièrement identifiable dans la série des créations intitulées Passim qui pourrait se traduire par çà et là. Cela se rapproche de ce que l’on peut nommer des « semis ». Il s’agit de marques répétitives de formes semblables et de teintes très proches qui occupent toute l’étendue de la toile. Le système plastique sans lieux privilégiés produit une grande variété de petits signes parents qui se détachent plus ou moins du fond coloré, comme dans Passim #32. Dans chacune des œuvres de cette série, le visiteur peut librement effectuer son parcours de découverte visuelle. Ces gestes créatifs contiennent aussi une part de rêve, ils ne procèdent pas des mêmes défis à l’inconscient que ceux expérimentés par certains surréalistes et par son frère Jackson. Les tracés au pinceau de Charles Pollock ne sont pas lâchés, mais conduits avec une maitrise attentive.

Charles Pollock, Passim #32, 1975, 195 x 114 cm

Contrairement à ce qui caractérise l’action painting, les traces picturales laissées ne sont ni violentes, ni rapides, ni véritablement spontanées. La toile est le lieu où se produit une suite d’événements spatiaux-temporels. Les marques laissées n’indiquent pas l’existence d’un combat entre l’artiste et l’objet peinture. Les gestes picturaux de Charles Pollock ne gardent pas les empreintes de l’engagement émotionnel et de l’état d’âme de leur auteur au moment de la genèse de l’œuvre.

Dans la série de peintures accrochées à la Galerie etc. l’artiste fait du travail de la couleur un domaine d’exploration permanent. Il ne prétend cependant pas à faire de l’étendue et de la radiation des surfaces colorées le principal lieu de son expression, comme le pratiquèrent les artistes du color-field dont il fut proche. Les gammes de couleurs sont très subtiles, avec des passages fondus entre les différentes surfaces. De petits événements plastiques, comme les semis déjà signalés, interviennent durant l’élaboration de la peinture. Ces marques discrètes sont posées entre les longs tracés obliques et entre les bords supérieurs et inférieurs comme dans Trace #31. Ils facilitent les passages entre les figures obliques cadencées et le fond des tableaux. Plus ou moins consciemment, l’artiste guette l’avènement de petits décalages susceptibles de le surprendre lui-même et pouvant conduire vers la décision d’arrêter l’instauration de l’œuvre.

Charles Pollock, Trace #31, 1975, 195 x 114 cm

Comme on l’entend ici, dans la création de ces nouvelles images abstraites, cet artiste ne se met pas en avant, il ne s’efface pas non plus ; il demeure un spectateur attentionné de l’œuvre en train de se faire. Y être sans y être, voilà le défi des peintures de Charles Pollock, voilà leur manière de s’inscrire dans une suite de la modernité, leur façon de faire « presque » pareil tout en installant des différences fondamentales.

C’est aussi cela que l’on apprécie dans cette autre série de créations de 1978 et 1979 qui porte le titre Late Seventies Drawing suivi ici des chiffres #8, #9, #11, #19. Cette fois des bandes colorées verticales installées de chaque côté structurent la composition. Dans Late Seventies Drawing #8 les verticales bleues et vertes peuvent faire penser à Porte Fenêtre à Collioure, 1914, de Matisse, même si chez le peintre français les bandes bleue, grise et verte encadrentla partie centrale très sombre presque noire. La peinture de Charles Pollock est bien plus lumineuse avec cette fois au centre beaucoup de couleurs différentes et même un semis de tracés bleus et roses. L’autre toile devant laquelle on s’arrête et on pense cette fois à Barnett Newman est Late Seventies Drawing #11. Cette fois la forme dominante placée au centre gauche de la composition est une figure bleue partagée en son milieu d’un audacieux Zip blanc.

Charles Pollock, Late Seventies Drawing #8, 1979, 162 x 97 cm
Charles Pollock, Late Seventies Drawing #11, 1978, 37,7 x 27,2 cm

Avec les bandes colorées, les grilles ou les autres configurations de marques, Pollock garde le rôle d’observateur d’une expérience des faits plastiques obtenus dans un mélange de détermination (répétition d’un protocole choisi) et de hasard (le fortuit force la décision). Dans les abstractions historiques, l’autorité de l’œuvre provenait de l’auteur dont la puissance d’expression transcendait celle-ci. Dans les peintures de cet artiste, l’autorité de la création ne relève plus de l’implication de l’auteur lui-même, mais du développement, sous son action, d’un système de la peinture. Utilisant une suite de marques distanciées, il donne une visibilité nouvelle aux moyens plastiques traditionnels : espace, dessin, matière, couleur, etc. L’artiste n’impose pas son moi ; il suit l’événementiel de sa création juste pour l’infléchir au moment opportun. 

Créer pour un artiste abstrait culturellement informé comme l’est Charles Pollock c’est donner à voir des formes nouvelles et surtout établir entre celles-ci des rapports nouveaux, des liaisons in-vues. Deux formes peintes, semblables à des chevrons de teintes variées sont installées entre les différentes marques colorées. Elles sont placées en haut et en bas, sur de petites œuvres sur papier chiffon (50 x 32 cm), dénommées Pastel #1, 2, 3, 4. Le judicieux accrochage de trois d’entre elles côte à côte sur le mur de la galerie pousse le regardeur à examiner les parentés et les différences de l’une à l’autre. La nouveauté de ces images se situe bien là. L’auteur tend s’absenter au profit de l’autonomie de sa création ; il n’est plus le seul garant du sens de son œuvre. Le regardeur devient par voie de conséquence l’autre inventeur de celle-ci. Les couleurs disposées, les taches ou les tracés relèvent ici essentiellement de l’idée d’objectiver l’expérience de la peinture.

Charles Pollock, Pastel #4, 1972, 50 x 32 cm

Tout le spectaculaire spatial, débarrassé du mimétisme du visible autant que du pathos déclamatoire, tente d’installer dans un « échantillon exemplaire » (Nelson Goodman), une émotion. Celle-ci nous renvoie à aucune expression, aucun être, à aucun monde antérieur, afin qu’apparaisse, sans hermétisme ni hyperbole, dans toute son énigme, un seul paradigme : la peinture. 

Exposition Charles Pollock, Un américain à Paris
Galerie etc.
28 rue Saint-Claude, Paris
Jusqu'au 30 novembre 2024
Le site de la galerie etc.