Un tronc d’arbre dénudé. Le tapis de feuilles mortes qui monte jusqu’aux deux tiers de l’image révèle le nom du journal. Clin d’oeil à la pulpe végétale dont est faite le journal, ainsi que la saison de fabrication et de lancement (novembre 2012). La photo est signée Lourdes Cabrera.
Donc, Cheap n’est pas une nouvelle « feuille de chou », mais bien feuille (s) d’arbre.
L’ objet est simple, la typographie ronde et lisible, c’est élégant mais sans prétention. Pas de fioriture. Ce n’est pas condescendant pour deux centimes d’euros, pas faussement « pauvre et modeste » non plus…
Sobre mais pas austère, la première livraison de Cheap, ce n° 0 hivernal imprimé sur papier recyclé, a été épuisée dès la soirée de lancement du 30 novembre 2012 à la galerie Vol de Nuits qui l’édite à Marseille.
Le numéro zéro offert par l’un des photographes m’a donné envie de le conserver, de garder précieusement l’objet discret et beau, familier et ordinaire dans le meilleur sens du terme. Chez moi, mais pas dans ma bibliothèque, pas dans le séjour non plus, plutôt dans l’intimité de la chambre à coucher où les draps en désordre n’ont pas forcément été rangés, dans la cuisine où je ne fais pas assez bien et précisément la vaisselle me dis-je, dans une pile de livres de poche aux reliures malmenées et pages écornées. Bref, je me suis dit que ce journal n’était vraiment pas destinée aux salles d’attente impersonnelles, aux galeries d’art hype non plus !…
Dans le journal, la déclaration d’intention des trois directeurs artistiques est un manifeste tranquillement subversif qui ne manque pas d’humour :
« Pourquoi Cheap ?
Cheap n’est pas une revue d’art. Cheap n’est pas imprimé sur papier glacé. Cheap ne rapporte pas d’argent. Cheap est réalisé par trois photographes. Cheap n’est pas cher. Cheap est une publication numérotée. Cheap donne du plaisir à tes yeux. Cheap est inflammable. Cheap n’aime pas l’eau. Cheap peut servir de poster. Cheap se découpe. Cheap est beau et aime la beauté. Cheap c’est un album de photographie. Cheap n’est pas élitiste. Cheap est sur Facebook. Cheap est Cheap. »
CHEAP est, bien sûr, le contraire d’une revue coûteuse sur papier glacé (dans le contenu aussi).
Sans nostalgie, Cheap renoue explicitement avec la tradition des fanzines home-made chers aux punks des années 1970. Supports favoris des contre-cultures, faciles à produire et à distribuer, ils étaient gratuits ou vendus à un prix dérisoire (Cheap ne coûte lui que 5 euros).
Souvenons-nous que, par exemple, le premier journal photographique francais, Contrejour créé par Claude Norri en 1975 était un fanzine inspirés par les modèles anglo-saxons. Aux États-Unis, dans les années 1980, les pratiques recourant au toy-cameras étaient imprimées sur papier recyclé dans la revue SHOTS créée par Daniel Price…
Alternative à la dématérialisation high-tech de l’information, comme Cheap est numéroté, c’est un objet de collection, qui craint l’eau et le feu, on nous a prévenus. Il faut donc en prendre soin, non pas parce qu’il possède un écran fragile comme les coûteuses tablettes numériques, mais parce que ses pages peuvent facilement se déchirer, s’effriter. Qu’il est agréable de retrouver cette sensation…