« choses vues, choses lues » Alain Fleischer à la Bibliothéque nationale Richelieu

La grande salle Labrouste de la bibliothèque Richelieu est ré-ouverte au public depuis le 23 octobre. Invités, les visiteurs ne le sont pas à lire mais plutôt à voir et à entendre les bruissements sonores et les traces visuelles que les mots lus, écrits, pensés par des chercheurs pendant un siècle ont laissé, oublié dans ces lieux. Ces dépôts sont provisoirement réveillés par une installation d’Alain Fleischer. Cet artiste, directeur de l’école du Fresnoy, a su par une proposition légère et subtile réinventer l’atmosphère feutrée et néanmoins extrêmement dense de la bibliothèque nationale.

« Parler n’a trait à la réalité des choses que commercialement : en littérature cela se contente d’y faire une allusion ou de distraire leur qualité qu’incorporera quelque idées »
Mallarmé, Quant au livre

La porte franchie on entre dans une pénombre et un bourdonnement de voix qui emplissent l’espace, sans l’occuper. Parce que les bruits montent, et que des hauts parleurs sont attachés à des étagères vides qui tapissent les murs, le regard aussi s’élève et embrasse les neuf coupoles du plafond dont les carreaux de verre ont été noircis. Dans une demi-obscurité le regard surfe sur des pupitres de lumière bleue, tamisée, incertaine, changeante, installés sur les tables à la place des lecteurs. Ce sont des caisses de bois peintes fermées d’un couvercle de plexis glass bleuté à travers lesquels se laisse deviner un défilé d’images cathodiques. Les formes allusives, leur immatérialité, son et lumière, conviennent particulièrement à ce lieu chargé d’histoire et de boiseries qui vidées, désaffectées prennent la forme et la fonction d’écrin. Ecrin de la mémoire, écrin de souvenirs, écrins de traces de vie sourde, individuelle et collective ; c’est ce que l’installation invite à penser. Mais malheureusement c’est sans compter avec l’attirance de l’aujourd’hui par et pour le spectacle. Le bruissement mental, la lumière spectrale, l’attention flottante ne suffisent pas, il faut des images bavardes, triviales qui montrent ce qu’est la lecture, qui affichent des têtes de liste de la Culture, qui démontrent que la lecture se pratique dans toutes les positions. Ce sont des dizaines de petits écrans, à vertu pédagogiques, peut être, qui donnent à écouter des textes. Les voix ont été stérilisées par le devoir d’intelligibilité et la mécanique de l’enregistrement. Personne ne parle à personne. Et pour être tout à fait normatif et sans reproche, des enfants, des asiatiques, des accents méridionaux ont été réquisitionnés pour lire et assurer la représentation de la diversité. Plus qu’attentif aux textes on décrypte le casting.

Les images de petite taille, d’une vingtaine de pouces grandissent, changent d’échelle, épousent les quinze mètres de hauteur de la bibliothèque. Au fond de la nef, dans le « chœur » de la bibliothèque – une plateforme légèrement rehaussée, sertie d’une clôture ecclésiale, où les conservateurs se tenaient autrefois à la disposition des lecteurs – de grands rideaux blancs ont été suspendus. Fermés, à intervalles de temps réguliers, ils forment un écran géant où sont projetés des vidéos d’artistes et des fragments de films, tous ayant un rapport à la lecture. Créations sonores et visuelles, ces pièces explorent les possibles physiques, symboliques de l’écriture et de la parole. Leur qualité, leur pertinence pourraient presque faire oublier la transformation de la bibliothèque en salle de cinéma. Mais un autre événement spectaculaire succède à la projection.

Celle-ci finie, les rideaux regagnent les bords, mais en s’effaçant ils découvrent une énorme cage de verre – en fait des magasins et des coursives vidés et désaffectés – à l’intérieur duquel Fleischer a placé un énorme projecteur. La luminosité violente donne à cette structure transparente l’éclat d’un diamant. L’apparition de ce vaisseau de lumière relève à la fois de la magie et d’une vision religieuse. Les rideaux de scène qui évoquent des salles de fêtes ou des théâtres ambulants, contribuent, lorsqu’ils « se lèvent », à créer du merveilleux. Ne s’agit il pas de la lanterne magique, chère aux fabricants d’images ? En même temps, la source lumineuse qui émane de l’intérieur de l’abside et irradie le chœur, dramatise l’architecture et en délivre une vision plus sacrée. Mélange de profane et de sacré donc qui sans doute ne contredit pas l’esprit de cette bibliothèque qui a longtemps veillé, sinon inspiré les lecteurs et peut aujourd’hui encore être visité.