Christine Jean est en perpétuelle recherche.
Synthèse d’une carrière marquée par l’errance créative et la transformation, le projet actuel de l’artiste constitue une exploration à la fois des forces de la nature et de l’esprit humain, mais aussi de la manière dont l’art capte et transcende leurs énergies.
En amont de son investigation, Christine Jean convoque l’idée de constellation, chère à Novalis. Comme ce dernier le dit dans son Brouillon général, chaque fragment, chaque œuvre et chaque geste, participe d’un tout infini et ouvert, où l’inachevé révèle une quête plus vaste et laisse entrevoir une infinité de possibles.
La dynamique entre contrôle et lâcher-prise anime cette quête constante de vibration. Telle une poursuite incessante d’une énergie interne qui émane de la matière et des formes, Christine Jean cherche avant tout à insuffler aux matériaux une vie propre, un mouvement. Elle interroge ainsi la porosité entre les disciplines : la peinture, le dessin, l’installation, le son, l’écriture, se rejoignent dans un réseau complexe de connexions et forment une constellation où chaque élément est en dialogue avec l’autre.
Ici, le processus même devient l’œuvre. Sans un objectif de progression linéaire, les œuvres naissent, se détruisent, se transforment et reprennent vie dans un flux continu et organique.
Une poétique de la matière
Les carnets de notes, archivés par l’artiste tout au long de sa production, deviennent matériau vivant de création.
Christine Jean explore et retravaille ces archives mouvantes: des fragments de pensées, des semences d’œuvres futures, sans hiérarchie ni ordre.
Elle redessine les pages de ces carnets en les agrandissant sur des papiers de grand format, dont la surface irrégulière capte la main. Traçant, effaçant, puis réimaginant les formes, chaque signe, même eNacé, devient une matière temporelle.
Ce processus nourrit l’ensemble de son travail : les carnets réinterprétés deviennent des œuvres en soi. À travers eux, en y laissant la trace des accidents, des inspirations et des souvenirs, Christine saisit l’essence même de son propre parcours.
Cette démarche de transformation continue, où l’effacement fait partie intégrante de la création, rejoint l’idée d’un art où chaque geste compte, où l’accumulation et la déconstruction se rencontrent. Finalement, Christine semble rejoindre Henri Bergson et son concept de durée dans L’Évolution créatrice : il n’y a pas de moment figé dans l’art, mais une perpétuelle mutation, où les frontières entre le passé et l’avenir sont constamment redessinées.
Tourbillons et vagues
Et puis la nature. Omniprésente. L’eau, le vent, la terre, et les forces cosmiques qui imprègnent chaque action. Plutôt qu’une représentation, Christine essaye de capturer l’essence des phénomènes de la nature. Ses œuvres s’animent d’une énergie palpable qui évoque les mouvements mêmes de la nature : des tourbillons d’eau, des ondes, des vortex invisibles. La matière et l’art s’entrelacent dans une dynamique de transformation réciproque.
La densité du travail de Christine Jean réside aussi dans les matériaux bruts qu’elle choisit : à la peinture, elle intègre des matières telles que l’encre, l’huile ou le cuivre. Et c’est l’usage des feuilles de cuivre, soumises aux altérations du temps, qui témoigne des processus naturels de dégradation et de renaissance. En effet, l’artiste joue avec le temps et les éléments : intégrant des transformations chimiques dans sa peinture, son travail évoque les cycles d’érosion, de vibration et d’attraction, à la manière des forces de la nature qui agissent sur la matière. L’oxydation devient presque une métaphore du cycle éternel de la vie, de la naissance à la mort, et de la perpétuelle métamorphose qui nous ramène à l’origine.
En traçant ces lignes de force entre disciplines et matériaux, Christine Jean révèle la part cachée de la nature, ce que les yeux ne perçoivent pas mais que l’art rend sensible. En effet, l’alchimie orchestrée par l’artiste, n’est plus une simple métaphore de la nature, elle en devient l’écho.
L’esthétique du palimpseste
Ses grandes toiles majestueuses deviennent paysages en mutation, champs d’énergie où la matière semble danser sous le regard, comme si elles capturaient une tension magnétique. La taille importante de certaines œuvres renforce cette immersion sensorielle, et chaque détail devient une striation de la mémoire, une trace de temporalités superposées.
Ce projet de vie est à l’image d’un palimpseste : chaque œuvre, chaque matériau, est un territoire en constante redéfinition, à la fois mémoire du passé et ouverture vers l’avenir. L’accumulation des couches successives, à la manière des strates géologiques, révèle une mémoire de l’action artistique qui se déploie devant nos yeux. De ce fait, l’œuvre est un espace palpitant où la matière se souvient des gestes passés et anticipe ceux à venir. L’effacement n’est jamais une disparition mais une autre forme de présence, une respiration du temps qui donne à chaque œuvre une profondeur quasi métaphysique.
De glace et de feu
Le diptyque monumental incarne la confrontation des éléments dans une tension picturale intense. Réalisée sur plusieurs décennies, cette œuvre a émergé à travers des intervalles de travail prolongés, où chaque session de peinture a été marquée par une action immédiate et spontanée qui donne progressivement naissance à une accumulation de strates traduisant la complexité de la métamorphose naturelle. Les surfaces semblent s’ouvrir et se refermer, tantôt éclatantes de lumière, tantôt sombres et mystérieuses. Le rouge, le bleu, le jaune et le vert se heurtent et se fondent, traduisant l’idée que tout se transforme. Le regard traverse des paysages mentaux où le froid et le feu se rencontrent dans une danse incandescente et minérale, révélant des champs énergétiques en perpétuel mouvement. L’œuvre, marquée par des gestes amples et des recouvrements successifs, devient une carte sensible d’un voyage temporel où chaque couleur et chaque ligne semblent se métamorphoser sous l’action d’une force intérieure. Cette matérialité traduit un dialogue permanent entre ce qui est figé et ce qui cherche à s’échapper, entre la mémoire des couches antérieures et la réinvention incessante d’un nouveau champ pictural.
Champs magnétiques
Christine Jean déploie ici un cosmos pictural où les forces d’attraction et de répulsion se traduisent par une composition d’une richesse fascinante. Inspirée par la théorie du vortex de Descartes, l’œuvre juxtapose des sphères, des cercles, des points, et des lignes qui tourbillonnent et se rencontrent dans un bal hypnotique. La structure de l’œuvre évoque les tracés cartésiens tout en convoquant la fluidité et l’aléatoire des phénomènes naturels. À l’image des pôles magnétiques qui attirent et repoussent, les formes noires, rappelant les troncs d’arbres et les Torii japonais, s’inscrivent dans l’espace comme des portails menant à une autre dimension. Les feuilles de cuivre, soumises à l’acide et à l’eau, créent des textures organiques, tandis que l’encre de Chine trace des contours qui se dilatent et se contractent, donnant naissance à une topographie où le temps semble suspendu. Cet enchevêtrement de matières et de gestes traduit la volonté de l’artiste de capter l’invisible, d’emprisonner la vibration des énergies cosmiques dans une surface peinte. La matière se décompose, se recompose, oscillant entre présence et absence, entre mémoire et effacement, dans une quête de captation des énergies qui animent le monde.
Christine Jean est née en 1957 à Sainte-Adresse. Elle vit et travaille à Paris.
Les forces à l’œuvre dans la nature résonnent avec les processus qui opèrent dans sa pratique à travers l’expérience des matières – peinture, fusain, photographie, encre, vidéo et son. Depuis 2020 Christine Jean s’est engagée dans un projet au long cours dont ses carnets de travail sont le moteur : L’Horizon des événements est un projet exploratoire.
Son travail a été montré au sein d’institutions et de galeries en France et à l’étranger : Musée d’art et d’archéologie de Périgueux, galerie de la Manufacture d’Aix-en-Provence, MLAC-Rome, musée ethno-botanique de Salagon, musée de l’Abbaye de Saint-Riquier, musée de Toulon, Fabrique centre d’art-Montreuil, Centre d’art sacré de Lille, Institut français de Hanoi, musées de Beijing, Shenzhen, ChongQing, galerie Area-Paris, galerie Exit artcontemporain, galeries Pin-Bielfeld, Ricarda Fox-Essen, StudioL2-Stockholm.
En 2018, elle a reçu le Prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca à l’Institut de France pour l’ensemble de son œuvre.
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